Le dernier souffle

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Marion luttait comme une diablesse pour ne pas fermer les yeux.

Elle savait pertinemment qu'elle venait d'inspirer sa toute dernière bouffée d'oxygène, à 29 ans à peine.

Lorsqu'elle abandonna ses futiles efforts et laissa ses paupières se refermer pour la dernière fois, elle eut l'étrange sensation de se réveiller d'un très long rêve.

Devant elle, des couleurs intenses se succédaient à une vitesse folle, alors que son corps à présent translucide flottait librement dans cet espace qui n'en était pas vraiment un.

– Y a quelqu'un ? murmura-t-elle, brisant le silence troublant qui l'enveloppait.

– Oui. Je suis toujours là, répondit une voix qu'elle ne connaissait que trop bien.

– J'aurais dû m'en douter... Tu ne me foutras donc jamais la paix ?

– ...

– Eh bien quoi, tu n'as rien à dire ? C'est une première !

– Je... je n'ai pas envie de mourir. J'ai peur.

Marion eut la sensation qu'un courant d'air glacial venait de traverser son être, la faisant frissonner de la tête au pied.

– Oui je sais. Moi aussi j'ai peur, finit-elle par admettre.

Les couleurs qui dansaient autour d'elle se mirent à former des figures floues qui disparaissaient aussi vite qu'elles étaient apparues.

– Oh, regarde ! s'écria soudain Marion en reconnaissant le doux visage de sa mère.

– Comme elle est jeune, s'émerveilla la voix.

Toutes les scènes de sa vie défilèrent à toute vitesse sur un drôle d'écran infini. Fascinée par ces images qui lui semblaient à la fois si proches et si lointaines, elle ressentit une terrible envie de mettre la pause pour pouvoir savourer les moments clés de sa brève existence.

Mais une fois le film terminé, les couleurs se troublèrent à nouveau.

– Médiocre, souffla Marion en secouant la tête.

– Pourquoi tu dis ça ?

– Tu te rends compte du nombre d'heures que j'ai perdues à remplir des stupides tableaux Excel ?

– Qu'on a perdues, tu veux dire ?

– Et tout ça pour quoi ?

– J'sais pas... Pour payer les factures peut-être ?

Marion détestait quand la voix avait réponse à tout.

– Ce n'est pas ça que je voulais faire de ma vie moi !

– Ah non ? Et tu voulais faire quoi au juste ?

– J'en sais rien moi. Je voulais vivre, voyager, ...

– Tu es allée en Espagne il y a trois ans avec Jérôme, je te rappelle.

Jérôme.

Réalisant soudainement qu'elle ne reverrait plus jamais l'homme qu'elle avait tant aimé ces dix dernières années, Marion fut rongée par les regrets.

– J'aurais tellement voulu lui ouvrir mon cœur.

– Ce n'est pas ce que tu as fait ?

– Tu sais très bien que non... Je me cachais toujours derrière une façade. J'avais trop peur de lui montrer qui j'étais réellement.

– Je pense que tu as bien fait. Sans la façade, il ne t'aurait probablement jamais aimée.

– Aaah mais c'est pas possible ! explosa Marion.

Elle se demanda pourquoi elle avait écouté cette voix idiote toutes ces années au lieu de suivre les désirs que son cœur lui murmurait.

– Tu ne t'arrêteras donc jamais de me pourrir la vie ? Même ma mort, tu arrives à la gâcher ! FOUS-MOI LA PAIX !

C'est alors qu'une petite fille apparut de nulle part. Elle ne devait pas avoir plus six ou sept ans et de grosses larmes coulaient profusément sur ses joues rougies.

– Je suis désolée, gémit-elle entre deux soubresauts.

Cela faisait tant d'années qu'elle n'avait pas vu cette petite bouille dans le reflet du miroir qu'il lui fallut quelques instants pour se reconnaître.

– Quoi, tu veux dire que tout ce temps, c'était toi qui parlais sans cesse dans ma tête ?!?

– Oui... J'essayais de te protéger, dit l'enfant en essuyant son nez avec le rebord de sa manche. Mais j'ai tout gâché et maintenant tu me hais.

Le premier réflexe de Marion fut d'ignorer sa petite voix plaintive, comme elle l'avait fait toute sa vie, mais sentant les battements de son cœur ralentir inexorablement et les dernières molécules d'oxygène quitter ses poumons fatigués, elle se radoucit :

– Viens-là.

L'enfant resta méfiante quelques instants, puis un merveilleux sourire illumina son visage innocent et elle se jeta dans les bras de Marion.

– C'est tout, c'est tout...

– Je suis désolée d'avoir gâché ta vie, je ne voulais pas...

– Je sais... Moi aussi je suis désolée, c'était à moi de prendre soin de toi. Pas le contraire...

– J'ai peur.

– Ne t'inquiète pas ma chérie. Je suis là.

Petit à petit, l'enfant s'évapora contre son cœur et sa voix s'éteignit à tout jamais.

Marion se laissa alors emporter par le flot de ses émotions – en pleurant, en riant, en hurlant, en tremblant de peur et d'extase. Elle était trop consciente que, dans quelques instants, elle ne ressentirait plus rien du tout.

Pour le reste de l'éternité.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 15 ⏰

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