Les cavaliers traversèrent le parc qui les séparait du palais. Ils longèrent l'immense plan d'eau rectangulaire dans lequel des sculptures de monstres marins servaient de support à des jets d'eau intermittents. Un réseau de haies dessinait des formes géométriques tout autour du bassin, embrassant bosquets et massifs de fleurs dans ses arabesques. Ces jardins-là n'étaient qu'une vitrine pour impressionner la population et les invités de marque. Jaspe leur préférait de loin ceux dissimulés à l'arrière du palais. Ils étaient plus touffus, plus intimes et plus sauvages. Il suffisait de le désirer pour que chaque promenade y soit différente de la précédente.
Le palais royal n'avait cependant pas besoin de jardins tirés au cordeau pour inspirer le respect. Tout de pierres blanches, il semblait avoir été construit avec des cubes de sucre immaculés. Quatre longues ailes se rejoignaient en formant une croix irrégulière. À mesure qu'ils s'approchaient du centre, les corps de bâtiments s'élevaient, gagnant en étages et en tours. Leur intersection constituait le point culminant de l'édifice, coiffé d'une imposante coupole en oignon dont les larges bandes azur et doré s'enroulaient en spirale jusqu'à son sommet. Les tours accolées au bâtiment principal arboraient des toits de formes variées, allant du dôme au clocher, mais tous parés de différents tons de bleus soulignés de doré qui étincelaient au soleil. Piliers, arches et encorbellements ornaient les vastes fenêtres qui découpaient les façades.
Ils s'approchèrent des écuries pour y laisser leur monture et constatèrent que les palefreniers étaient déjà fort affairés. Rassemblés devant l'entrée, ils admiraient trois chevaux aux poils soyeux et brillants dont Jaspe n'avait jamais vu de semblables. Leurs jambes étaient fines et puissantes, leurs grands yeux noirs expressifs détaillaient les humains autour d'eux. Bouche bée, le prince fit un pas vers eux.
— Votre Altesse, vous allez être en retard.
La voix graveleuse de Grès le rappela à l'ordre. Il s'arracha à sa fascination et laissa à ses gardes du corps le soin de gérer les montures. Habituellement, Jaspe s'occupait lui-même de son pur-sang, pourtant aujourd'hui, il ne devait pas arriver en retard au Conseil des ministres. Il se promit de redescendre aux écuries dès qu'il serait libre.
Ses bottes de cavaliers claquèrent sur les marches des grands escaliers qui menaient à l'entrée. Il se hâta dans le hall, sa haute silhouette reflétée par les dalles de marbre luisantes comme des miroirs. Il confia sa toque et sa pelisse en poil d'ours à un serviteur sorti de nulle part à son arrivée.
L'intérieur du palais n'était pas moins grandiose que l'extérieur. La blancheur des murs était ici rompue par des colonnes de porphyre violettes, des moulures dorées et des frises peintes qui couraient de pièces en galeries et de galeries en vestibules. Le prince Jaspe gravit quatre à quatre les marches de l'escalier monumental qui menait à la salle du Conseil, le son de ses pas amorti par un épais tapis pourpre. Il épousseta sa culotte de cheval d'une main soigneuse. Il n'aimait pas l'idée de se présenter au Conseil en habit de monte, mais il aimait encore moins celle d'arriver en retard.
Jaspe s'immobilisa lorsque des éclats de voix résonnèrent derrière les doubles portes. Le Conseil avait-il commencé en avance ? Et pourquoi ces cris ? L'ordre du jour était-il si conflictuel ? Il fronça les sourcils et lissa mécaniquement sa veste à brandebourgs. Puis il tendit la main vers la poignée.
— Allez quérir mon fils ! ordonna la voix grave du roi.
La porte s'ouvrit à la volée sur une garde affolée. La surprise de se retrouver nez à nez avec l'objet de sa quête puis le soulagement passèrent sur son visage.
— Votre Altesse ! s'écria-t-elle. Venez vite, on vous demande !
Dans l'immense salle du Conseil se tenait Lapis II, le roi du Royaume de l'Aube. Grand et droit, sa barbe blonde abondamment striée de gris, il hocha la tête en voyant entrer son fils. Il n'était visiblement pas étonné de la promptitude avec laquelle son ordre avait été obéi. C'était l'efficacité qu'il attendait en toute circonstance.
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Conte de l'Aube et du Crépuscule
Fantasy"Il était une fois deux royaumes, en guerre depuis des siècles. Deux royaumes que tout opposait sinon les souffrances nées du conflit. Il était une fois un roi et une reine, las de la guerre. Un roi et une reine qui surent mettre de côté la rancœur...