On avait couché l'homme noir sur une paillasse dans la grange du village.
Les bras attachés par une corde fine, l'individu restait immobile, encore endormi malgré les bruits alentours des villageois, allant et venant pour voir la curiosité. Sa peau, aussi charbonnée que les poils d'un chat noir, était cloquée d'engelures et d'ampoules, dues à un contact excessif à la glace. Les extrémités de son corps étaient bleutées par le froid; il avait perdu deux doigts à la main droite, tombés lorsqu'on voulut le couvrir. Son torse était meurtri par une large entaille, rouge et saillante sur son corps sombre. Lavande, une rebouteuse de passage au village, avait pansé ses plaies et posé un tissu propre sur son torse pour refreiner le flux de pus qui en jaillissait.
Pendant ce temps, Aiguille, la femme rousse, et autres grands personnages du village, se dissertaient sur le sort de la chose; on pensait l'homme hanté, pour ne dire maudit, par la nuit. Personne n'avait jamais vu d'homme aussi sombre et les témoins s'en écartaient avec superstition. Sélène s'était placé du côté de Lavande et lui avait apporté un peu de gruau encore fumant: les deux femmes tentèrent d'en faire entrer dans la bouche du blessé. La plupart ne fit que glisser sur ses lèvres charnues.
- Faut-il seulement le nourrir et le soigner ou bien l'achever? soupira appart Lavande.
Sélène parut outrée mais retrouva son calme en un instant.
-C'est un homme, fait de chair et de sang. dit-elle doucement
-Ça y ressemble, oui. renchérit Audace par-dessus son épaule.
Les deux femmes se tournèrent vers lui.
-J'ai déjà vu un Homme Noir: il venait du Sud et passait par la Vallée pour atteindre un port, je sais plus lequel. expliqua-t-il. Enfin, il n'était pas aussi foncé que ça. admit le jeune homme en indiquant le corps.
Aiguille s'approcha du petit groupe et demanda d'une voix grave:
-S'est-il réveillé?
Lavande lui fit un geste négatif de la tête. La femme rousse croisa ses bras sur sa poitrine, pensive. Elle demanda par la suite à la ménestrelle s'il lui semblait favorable de mentionner l'individu dans le rapport au seigneur. Elle leva les épaules, impuissante:
-Cela ne changera rien à ce que votre seigneur vous accordera mais si vous le lui cachez, peut-être s'en verra-t-il mécontent. Voyons s'il survit cette nuit et se réveille. Nous pourrons l'interroger. énonça-t-elle
-Je pense qu'un homme devrait garder la grange. Lavande restera pour s'occuper de lui. Il faudra prévenir Fouine ou moi s'il fait mine d'ouvrir les yeux. Nous aviserons à ce moment. déclara Aiguille.
Elle lança un regard entendu aux spectateurs puis sortit, suivi par le village.
Audace s'assit près de la musicienne et de la soignante. Un feu crépitait dans une cheminée étroite et projetait un voile orange sur leur visage.
Ils restèrent silencieux et laissèrent la nuit les bercer jusqu'au sommeil. Un homme était arrivé, une faux à la main, et surveillait avec inquiétude le blessé.
Une raie de lumière poussiéreuse rebondit sur la joue d'Audace. Il se releva et tapota ses bas couverts de paille. Sélène nettoyait les pansements de l'homme, toujours endormi. Au contact des tissus trempés, il eut un sursaut mais sombra de suite dans le sommeil du malade.
Le jeune homme partit dans la réserve du village pour piquer deux pommes et un morceau de jambon. Il glissa également une bouteille de vieille eau-de-vie sous son bras et présenta ses trouvailles à Sélène. La femme lui sourit puis se remit à sa besogne, un morceau de pomme entre les dents. Elle remplaçait Lavande le temps que cette dernière ausculte une vache. La vieille femme les soignait en les massant vigoureusement. Elle le faisait en l'échange de fromage et de céréales que récoltaient les villageois au long de l'année. Du moins, ce fut ce que Sélène rapporta au garçon.
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Le Fou Rouge
Fantasy[VERSION FRANCAISE][EN COURS] Sous la neige et entre les vents, le Loup tue les hommes. Audace, jeune berger des terres du Nord, s'aventurera sur la piste du grand prédateur. A ses cotés marcheront amants et amantes, amis et rivaux, famille et étra...