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Les rayons du soleil mirent en lumière l'état miteux du quartier. Là où l'obscurité faisait office de cache-misère, le jour quant à lui révélait les pires immondices. Tandis qu'il rejoignait son appartement, Slavko laissa son regard glisser sur l'avenue qu'il empruntait. Des déchets non identifiés jonchaient le sol, la plupart infestés de rats ou d'insectes de toutes sortes. Aucun système de traitement des déchets n'était mis en place à la Frontière. Quelques habitants nettoyaient encore devant chez eux, mais la plupart n'avaient pas la force de se rajouter une charge supplémentaire. 

Plusieurs immeubles s'étaient écroulés dans les environs, faute d'entretien, et aucune fouille n'avait été organisée pour les habitants coincés sous les décombres. C'était compréhensible. Des personnes en moins signifiaient aussi des ressources en plus. Les bottes de Slavko heurtèrent plusieurs fois des ordures en chemin. Habitué, il ne ralentit pas l'allure. 

Arrivé devant son immeuble, ses pas crissèrent en marchant sur du verre brisé. Depuis son emménagement, les portes d'entrée autrefois automatisées avaient été forcées. Ces bouts de verres étaient tout ce qu'il restait d'elles. Ses yeux s'habituèrent à l'obscurité du hall et il put zigzaguer entre les personnes étendues au sol. Certains avaient élu domicile au rez-de-chaussée des immeubles, faute de pouvoir payer un loyer. Slavko prit la direction des escaliers, n'ayant pas confiance dans les mécanismes des ascenseurs. Il habitait au sixième étage. C'était assez proche de la sortie en cas de besoin et assez loin des mendiants qui s'entretuaient la nuit. 

Un vent poussiéreux s'engouffrait par les fenêtres brisées de la cage d'escalier. Le peu de lumière que laissait filtrer les carreaux brisés permettait de voir où on mettait les pieds. En quelques minutes, Slavko eût fini son ascension. Sa bonne forme physique lui donnait quelques avantages, même s'il ne s'entretenait plus beaucoup ces derniers temps. 

Le palier de son étage était aussi chaotique que les autres. Des tags luminescents recouvraient les murs, alternant entre dessins abstraits et slogans de la Résistance. Un air impassible collé sur le visage, il ouvrit plusieurs portes dans le couloir pour se diriger vers la sienne. Derrière lui, un bruit de serrure se fit entendre. Il poussa un soupir résigné quand la porte 606 s'ouvrit brusquement dans son dos. 

 Hey le colosse ! 

Slavko ralentit sa marche jusqu'à s'arrêter. Il n'avait pas besoin de se retourner pour savoir qui l'avait interpellé. Des bruits de pas timides résonnèrent dans son dos. Immobile, Slavko continua de fixer le couloir devant lui, les mains enfoncées dans les poches. Seules ses épaules bougèrent lorsqu'il articula quelques mots. 

— Qu'est-ce que tu veux, Mona ? 

Sans même la voir, il pouvait imaginer l'expression de désespoir de la jeune femme. Depuis qu'il avait emménagé, elle scrutait ses allers et venues depuis son judas. Au début, elle trouvait des prétextes pour le croiser accidentellement dans les parties communes. Des médicaments à aller chercher, une poubelle à sortir, un meuble à déménager... Toute excuse était bonne. Sauf que, pas de chance pour elle, elle était tombé sur la personne la moins sociale de l'immeuble. Au fil du temps, les excuses manquaient et une gêne s'était installée. Mona se racla plusieurs fois la gorge. 

— Ta... ta journée a été bonne ? bredouilla-t-elle comme une enfant. Ou plutôt ta nuit...

Dans un énième roulement d'yeux, Slavko daigna enfin se tourner vers elle. D'un geste nerveux, elle tripotait une mèche de cheveux emmêlés. Son allure faisait peine à voir. Elle n'avait plus que la peau sur les os et Slavko se demanda sérieusement comment elle tenait debout. Comme à chaque fois, elle avait essayé de dissimuler son physique fragile derrière une longue robe, quoiqu'un peu déchirée à certains endroits. Ses ongles étaient rongés jusqu'au sang mais elle les avait peinturlurés de rose, tout comme ses fines lèvres. Il voyait bien qu'elle essayait de faire un effort, mais c'était comme construire une maison sur des fondations pourries. 

𝕃'𝔼ℂ𝕃𝔸𝕋 𝔻𝔼𝕊 𝕆𝕄𝔹ℝ𝔼𝕊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant