La nouvelle est assurément le genre des idées, quoique des idées courtes, condensations, subliminalités, révélations – même si la plupart des romans ne sont que nouvelles inutilement allongées et qui n'eussent eu de valeur qu'en tant que récits brefs (et encore, pour le peu qu'ils racontent...) –, c'est ainsi, je crois, le genre le plus légitime à réaliser les intrigues, à représenter, à incarner et à synthétiser les idées narratives : j'entends qu'en sa conception toute originelle – la transcription scénarisée d'image ou de rêve –, la nouvelle projette une densité qui ne cherche pas à atermoyer en facticité et dont l'efficacité réside en sa réduction aux effets, ce qui implique une vue exacte et un vocabulaire juste à destination d'une intensité. Tout s'y ramasse et intrique pour valoriser l'idée, mais le roman fait souvent accroire au génie en multipliant l'épanchement superflu qu'on tend à confondre avec le témoignage fécond : c'est qu'on mélange mal à propos le sage et le disert, et qu'à tort la longueur paraît gage de profondeur.
Ainsi la nouvelle sans idée forte ne dispose-t-elle d'aucune justification hors l'exercice : ce n'est pas le lieu des développements lourds, des représentations élaborées, des digressions complexes ; une sorte de légèreté artiste, de virtuosité suggestive, doit procéder pour l'essentiel de la teneur même de l'inspiration, et l'on peut considérer, comme je le remarque chez Mendès, que les mises en scène et relation de la vision consistent surtout en une mécanique qu'un savoir expert, qu'une dextérité virtuose, déroule en logique performante de spécialiste. Sans doute, on me contestera d'écrire : À partir d'une idée, il existe une façon indiscutablement supérieure de raconter la nouvelle, choix des scènes et modalités de narration, de sorte que des nouvellistes confirmés écriraient environ le même texte et ne discuteraient pas la victoire d'un d'eux. C'est, si l'on préfère, le rôle de l'orfèvre, artisan dont la confrérie reconnaît les meilleurs : dès qu'il reçoit la pierre précieuse, qui fait largement la puissance de son travail, la taille n'est pas tant question de personnalité que de pertinence, et il existe bien une façon de ciseler qui conserve au joyau le plus de matière et donne la plus intense rutilance à son eau. Il faut être un amateur, un novice, un profane, pour ne pas comprendre pourquoi telle pierre nécessite telle ciselure : libre au débutant de croire ce qu'il veut, les spécialistes en général ne s'y trompent pas, parce qu'ils ont le goût affiné par l'expérience et savent ce qui est à la fois le plus difficile et le plus excellent – il ne s'agit d'ailleurs pas de l'affirmer avec autorité et péremptoire : il y a bel et bien des critères précis relevant de la perfection des effets, il existe une science des gemmes qu'on appelle l'orfèvrerie.
Or, pour le professionnel-à-nouvelles se produit comme pour celui de poésie : la matière première devient rare cependant que le temps presse d'en trouver. L'œuvre étant courte, il ne peut longuement ménager des transitions comme aux vastes entreprises ni exposer incidemment des anecdotes inutiles, publier des décorations pour faire patienter, ou insérer une considération accessoire, comme il arrive aux romanciers. Il a besoin de ressources rapides, bien enchaînées, si par exemple il écrit chaque semaine pour un journal, et probablement, en l'occupation de ses jours, il ne dispose pas d'assez de rêve ou de vision pour lui fournir la richesse surprenante qu'il lui faut. Alors, le nouvelliste écrira régulièrement par défaut sur des idées inférieures, conscient de sa faiblesse thématique qu'il compensera au moyen de techniques ajustées – et combien de nouvelles ne sont que démonstration de style et rigueur narratologique –, mais il est manifeste que de nettes différences sont sensibles en la qualité des idées, que toutes n'étaient pas destinées à la publication, que beaucoup sont d'une pauvreté qui ne servit qu'un entraînement et non une œuvre, et même que la plupart ne valaient que pour études en attendant des imaginations plus originales et exemplaires. C'est ainsi presque toujours que, parmi les bijoux que ses doigts ont formés, certaines pierres sans aucun doute ne méritaient pas d'éclore.
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Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)
NonfiksiDes critiques de ce que je lis, écrites peu après avoir lu.