Chapitre 18

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   Pour les gens normaux, le vendredi est un jour interminable qui marque la fin d'une semaine forcée. Moi, je le trouve bien trop court. Il signifie le début du week-end.

   Un week-end à l'académie.

   Aujourd'hui encore plus que d'habitude, je redoute la fin de la journée. Ma voix fait des allées et venues, loin d'être consistante. Je l'économise un maximum, mais elle continue à me faire souffrir. Elle sera néanmoins suffisante pour demain dans la mesure où c'est simplement des travaux de groupe qui préparent aux auditions pour la comédie musicale annuelle qu'on passera pendant les vacances.

   Mon but ? Finir aussi loin de Camille et du devant de la scène que possible. En fin de compte, je réalise que ce n'est pas si mal que ma voix soit mal en point. Ça aidera, c'est certain.

   En revanche, il va très rapidement me falloir mes antidouleurs si je veux continuer à chanter tout court. Me faire mettre de côté est la dernière chose qu'il me faut avec le chaos qui règne dans ma famille. J'ai de moins en moins le droit à l'erreur.

   Par chance, on finit la semaine par du français. De cette façon, la journée paraît bien plus longue.

   J'adore voir la détresse de Thomas. J'ai fait exprès de me mettre à côté de Cass en vitesse quand la classe avait déjà commencé à se remplir. Il s'est retrouvé à côté d'une fille superficielle, le genre insupportable avec sa voix aiguë qui tente depuis déjà une bonne quarantaine de minutes de lui faire la conversation.

   Tous ses pores transpirent à l'aide. Mes oreilles aussi en vrai, mais c'est une douleur que je suis prête à supporter.

   Qu'il considère ça comme ma vengeance personnelle.

    Je trépigne intérieurement. Malheureusement, la sonnerie vient couper mon bonheur en stoppant son calvaire. Je ne l'ai jamais vu se lever et sortir si rapidement.

– T'es fière de toi en plus ! Le pauvre !

   Si tu savais, Cass.

   Je la quitte rapidement afin qu'elle ne manque pas son option musique. Bien que je veuille allonger la journée, hors de question que je me tape une heure de plus de chant. De 17 à 18 en plus ! L'horreur.

   Dans le couloir, aucun signe de Thomas. Il vaut mieux pour lui parce que la blonde le cherche. Je rigole toute seule de la situation que j'ai créée.

   Certes, on a eu pas mal de sessions révisions dont une au café, mais j'en ai profité autant que lui. Ces heures m'ont permise de le connaître et le cerner d'avantage. Je sais exactement ce qu'il déteste. Donc, bien sûr que j'ai choisi de mettre de côté mon anti-sociabilité pour dire à cette fille qu'il serait seul au cours.

   Diabolique.

– Qu'est-ce que j'ai bien pu te faire pour mériter ça ?

– Tu oses demander ?

   Il rit. Je commence à être habituée à ses apparitions spontanées. Elles ne me déplaisent pas autant qu'avant. C'est assez revigorant.

–    C'est un cercle vicieux, Ava-Rose.

   Par contre, ça je ne m'y ferais jamais.

– Je vais crier au stalking ! je m'exclame. Comment tu connais mon nom complet ? Même Cass n'est pas au courant.

– Faisons un marché – il s'appuie sur un des casiers avec son bras, ce qui fait ressortir ses muscles. Si tu acceptes de sortir au cinéma avec moi, je te dirai.

   Il a le don de me faire sortir de mes gonds, je le hais.

– Hors de question.

– Tu n'aimes pas les films ? demande-t-il en se penchant légèrement vers moi, tant bien que je parviens à sentir son odeur d'après-rasage.

   C'est le genre de trucs qui peut bien vite devenir addictif.

   Par contre, soyons clairs, ce n'est pas pour cette raison que je ne recule pas. Il ne faut pas qu'il pense pouvoir m'atteindre d'une quelconque manière, c'est tout.

– Je suis malade, je prétexte en utilisant mon manque de voix.

– Alors tu ne serais pas contre un bon chocolat chaud ? me rétorque Thomas. Ça ne peut te faire que du bien.

– J'ai académie.

   J'aurais mieux fait de me la fermer. Je sais ce qui va suivre.

– Tu ne devrais pas forcer sur ta voix, Ava, me dit-il avec douceur.

Mince, je culpabilise déjà d'avance.

– On va juste répéter les chorégraphies, t'inquiète, je lui mens à moitié.

   Il ne réplique pas tout de suite, il a l'air perdu dans ses pensées.

   Sans prévenir, il se repositionne sur ses deux pieds et me prend la main, ses magnifiques iris plongés droit dans les miens qui tentent désespérément de fuir.

– Est-ce que ça te plaît vraiment ? m'interroge Thomas, très sérieux mais toujours aussi doux.

– C'est sympa, je tâche de répondre rapidement.

– Ce n'est pas ma question, me rétorque-t-il calmement.

   Je ne trouve pas quoi lui répondre. Ma gorge se noue. J'aimerais lui dire que je veux que ça s'arrête, que je déteste cet endroit, mais en suis incapable. Il me conseillera de quitter l'académie mais je ne pourrai m'y résoudre et il finira par partir en m'observant m'autodétruire. Il aura raison, je ne ferai que l'entraîner dans ma chute.

   Le contact de sa main dans la mienne me brûle. Ma jambe commence à trembler. Le fait que quelqu'un me demande sincèrement la vérité pour la première fois m'ébranle presque autant que mes sentiments.

   Les souvenirs se chevauchent dans ma tête à la recherche de n'importe quoi à lui répondre pour changer de sujet et empêcher les larmes qui se forment au creux de mes yeux de couler. En vain.

   À défaut d'une énième crise d'angoisse, l'une d'entre elles glisse sur ma joue. Je n'ose plus le regarder, ma vision est trouble de toute façon. Je me sens horrible de m'écrouler devant lui. Il fallait pourtant que je m'y attende un jour, à ce qu'il m'interroge. Mais avec tout ce qu'il se passe ces derniers temps, c'était vraiment pas le moment.

   Je baisse la tête, mais Thomas place une de ses mains sous mon menton afin de la relever pendant que, de l'autre, il essuie délicatement ma larme.

   C'était la chose de trop, j'éclate en sanglots et atterris dans ses bras. Son corps imposant m'enveloppe complètement. Je me repose sur lui, la seule personne qui empêche l'impact imminent de mon corps avec le sol.

   Il place une de ses mains dans mes cheveux détachés et vient doucement masser mon crâne. C'est si doux... je n'avais jamais expérimenté ça, avec quiconque.

   Ma respiration se calme doucement, mes battements de cœur se calent au rythme des siens. J'ai l'impression de flotter. J'aimerais que ce moment dure à jamais.

   Mais, tout comme cette journée, il va finir par m'échapper.

Dans l'ombre des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant