Chapitre 10

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   Nous nous sommes endormis à deux dans son lit. Nous étions collés, l'un contre l'autre. Lui contre mon torse, moi qui le surplombait d'une tête dans ses cheveux. Je me sentais si bien. J'aurais aimé continué de connaître ce sentiment d'apaisement toute ma vie. Nous avions discuté de l'Amérique toute la nuit, j'avais cru comprendre qu'il était particulièrement attiré par ce continent, plus précisément les Etats-Unis. Il m'en avait déjà parlé, alors je n'étais qu'à moitié surpris. Il m'avait demandé d'être ses yeux, de voir pour lui ce qui lui était impossible de voir pour l'instant. J'avais trouvé cette demande étonnement poétique. J'ai ri aussi, de bonne grâce. Notre position initiale était sur le dos, regardant son plafond peu attrayant, puis nous avions basculé sur le côté. J'adorais l'entendre me parler de ses rêves, je crois aujourd'hui que c'est ce qui le maintient en vie. Il n'a pas cessé de jurer qu'il s'agissait de ça et de rien d'autre qui lui permettait d'avoir autant de passion, et je pense que c'est ce qui lui importait le plus, de vivre et de réaliser tout ce qu'il avait en tête. Je trouve cela admirable. Il n'est pas comme moi, quoique si, mais d'une manière plus noble.
   À mon réveil, je me souviens avoir humé l'odeur de ses cheveux, un acte si naturel que je n'avais même pas relevé. Il dormait profondément recroquevillé contre moi, une respiration lente et régulière qui me berçait. J'avais espoir que jamais cela ne s'arrête. Je le voulais rien qu'à moi. Bien-sûr, à cette période, ma seule idée était de me persuader que nous étions juste de très bons amis, mais aujourd'hui je serais prêt à me rire à la face. Quel sombre idiot. Il émettait de légers ronflements, ce qui me fit rire. J'enregistrais ce moment dans ma mémoire, sentant que cela n'arriverait pas de si tôt. Je n'osais pas bouger, j'étais resté dans cette position malgré les engourdissements qui me prenait. Je ne voulais pas le déranger au prix de mon confort. Le soleil était levé depuis quelques heures déjà, je devinais alors aisément que j'avais loupé mes premières heures de travail, heures que je comptais continuer de louper pour le reste de cette journée. Je savais que lorsque j'y retournerais je me ferais gronder, mais je ne souhaitais pas y penser. De toute façon, je ne pouvais pas y faire grand chose. Je me contentais, une nouvelle fois, de subir les actes de la vie qui se présentaient à moi. Me mettre en position de victime devenait presque un automatisme chez moi. Je le faisais à la perfection.

— Tu es réveillé depuis longtemps ? me demanda-t-il soudainement, d'une voix endormie.

— Je ne sais pas, je suppose que oui ?

   Il s'était doucement dégagé de mon étreinte, autant dire que j'étais déçu. On aura tout vu, me disais-je. Tel un chat, il s'étira puis agita ses cheveux dans tous les sens, je compris alors que cette manie qu'il avait de ne jamais avoir les cheveux coiffés venait de là. Je souriais à cette réflexion, étant content de découvrir de petits détails sur lui. Mon attitude devenait révoltante tant j'étais niais face à lui.

— J'ai une question à te poser.

— Je t'écoute.

— Pourquoi tu as dit que tu n'avais pas de famille ?

— Parce que c'est la vérité.

— Non mais sérieusement, il se positionna en tailleur sur son lit en face de moi, qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Des aléas de la vie qui ont fait que je me suis retrouvé seul.

— Ça ne te fait pas mal ?

— Si, mais je n'y peux rien.

— Raconte-moi, s'il te plaît.

   Je ne comprenais pas cet intérêt soudain. À quoi cela allait-il lui servir ? Je le regardais, incrédule, mais lui ne lâchait pas ce regard déterminé, alors j'ai craqué.

Du bout de tes doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant