Aliénor
Je ne peux gagner davantage de temps. Mon plat est prêt et il va finir par remarquer que je prends plus de temps qu'annoncé. Sans un mot, je ramène le plat. Je le sers puis remplit mon assiette.
Et n'ayant plus d'autre choix, je m'assois. Je ne comprends pas pourquoi il tient à manger avec moi. Après le premier soir, il m'avait bien fait comprendre que je ne suis rien pour lui.
Pourquoi tient-il tant à manger avec quelqu'un qu'il méprise au plus haut point ? Le voyant du coin de l'œil commencer à manger, j'en fais autant.
- Alors, tu t'es bien amusé ces trois derniers jours ? Me demande-t-il, un sourire narquois aux lèvres.
Je prends ça comme la demande que je lui fasse un rapport. Ce que je fais immédiatement. Je lui explique quelle pièce j'ai nettoyé, expliquant ma logique.
Je parle sans discontinuer pour finir le plus rapidement possible, ne prenant que quelques pauses pour manger et boire.
Quand j'ai fini, je le regarde enfin :
- Je n'ai pas eu le temps de finir le manoir. Mais je suis sûre que j'ai déjà fait bien plus que vous ne l'avez imaginé.
Je regrette aussitôt ma pique. Je suis vraiment infernale ce soir. Pour une raison qui m'est inconnue, je ne cesse de l'attaquer, sachant pertinemment que si j'arrive à l'énerver se sera moi qui en souffrirais.
Car s'il a promis de ne pas me frapper, je ne doute pas qu'il connaisse d'autres moyens de me punir.
Pourtant, je soutiens son regard avec un sourire poli.
- Faut-il encore que tu l'aies fait correctement, réplique-t-il.
Visiblement, il est plus doué que moi pour faire mal. Je ne comprends vraiment pas pourquoi il me fait me sentir ainsi.
Jusqu'à présent, j'étais très douée pour ne rien ressentir en face de ceux qui me tourmentaient. Mais depuis qu'il est rentré, il a réussi à me blesser déjà plusieurs fois.
Mais cette fois-ci, je souris :
- Il vous suffit de vous rendre dans les pièces que j'ai nettoyées. Je vois que nous avons tous deux fini. Je vais donc débarrasser. Je vais vous rapporter le dessert. Je n'en prendrai pas personnellement, donc si vous permettez, je vais me rendre en cuisine pour ranger.
Dans son regard, je peux voir qu'il hésite. Il sait qu'il n'a qu'un seul mot à dire pour que je reste à table avec lui. Pourtant, il me fait signe de la main pour me congédier.
Sans attendre qu'il change d'avis, je débarrasse la table en toute vitesse et vais vite me réfugier dans la cuisine.
Je n'en ressors que pour lui présenter son dessert. Je passe ma soirée à ranger la cuisine.
Je suis presque désespérée. Il est maintenant évident que malgré tout mes efforts, il ne changera pas facilement d'avis sur moi.
Il y a sans nul doute un événement qui a déclenché sa haine pour la famille Rochambeau. Et j'ai l'impression que cela concerne plus particulièrement les femmes de cette famille.
Je suis bien placée pour savoir que cette famille est détestable. Et pas juste leur femme. Monsieur Rochambeau pour moi mérite davantage la haine et le mépris que sa femme, Nadine.
Mais je doute que je puisse le lui dire. S'il comprend qu'ils ont essayé de le tromper, lui et sa famille, je serai là première à payer.
Et comme je fais partie de la combine, nul doute que cela lui confirme que je ne suis qu'une fourbe femme Rochambeau. Car malgré tout, c'est ce que je suis...
Je retourne dans ma chambre, le bonheur de ces trois derniers vite oubliés. J'ouvre le tiroir de mon petit bureau. À l'intérieur, se trouve un cahier.
Il était déjà là quand j'ai aménagé. Je ne sais pas vraiment s'il m'était destiné, mais j'ai décidé que oui.
J'ai commencé, il y a trois jours, un journal. Le trop-plein de nouveautés et d'incertitudes m'a poussé à me confier. Je doute que mon cher mari accepte que je continue à me confier à un psy comme le faisaient mes précédents tortionnaires.
Ils avaient pris cette décision, il y a trois ans, quand leur mauvais traitement avait failli me tuer. Non directement. Je ne me nourrissais plus, je ne prêtais plus attention à moi, je dépérissais.
Je n'ai jamais tenté de me suicider, mais je n'avais plus la force de vivre. Ne pouvant pas perdre leur précieux sacrifice, ils ont fait appel à une psychiatre peu scrupuleuse.
Elle acceptait leur argent pour me remettre sur pied. Mais jamais, elle n'a dénoncé le mauvais traitement qu'il me faisait subir.
Pourtant, bien que je ne lui aie jamais accordé la confiance, j'ai fini par lui parler. Mettre des mots sur mes souffrances m'avait permis de mieux les accepter. Ça et les médicaments qu'elle me prescrivait.
Mais je n'ai plus les médicaments. Je doute que mes tortionnaires l'aient dit à cet homme. Cela aurait sûrement fait baisser ma valeur. Je ne lui demanderai pas. Cela lui donnerait trop d'ascendant sur moi. Et rien me garantissait qu'il ressente le besoin de me venir en aide.
Alors, j'ai décidé de me confier à un carnet. Lui, contrairement à un psy ou au bloc note de mon téléphone, ne rapportera pas tout ce que je confie à mon nouveau tortionnaire.
La nouvelle page que j'écris n'est pas aussi joyeuse. Il y a moins d'espoirs. J'écris mes doutes. Je verse des larmes et referme mon cahier.
Demain sera une nouvelle journée.
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Deuxième captivité
De TodoAliénor : Un mariage. Cela ne signifie pas grand-chose pour moi. Finalement, je passe juste d'une captivité à une autre. Je ne la crains pas vraiment. J'ai eu des années pour m'y préparer. Une seule question reste : cette nouvelle vie peut-elle êtr...