Chapitre 5 - Pandore

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Nous étions posés tous les quatre sur le toit de la maison d'Orion, grignotant des pizzas et buvant sans penser au lendemain. C'était la première fois depuis des semaines que j'avais l'impression d'être libérée d'un poids. Le soleil terminait de se coucher, Orion avait allumé une cigarette, nous étions jeunes et libres. Libérés. Je n'avais ni la pression des cours, ni la pression des autres, ni celle de ma famille. Et mes propres pensées dansaient à travers les discussions, ou se plongeaient dans l'horizon orangé qui s'éteignait.

Je me sentais à la fois étrange d'avoir traversé l'horreur, rencontré un meurtrier, m'être battue avec, mais aussi euphorique à l'idée d'avoir pu aider des innocents. Xan allait mieux, un sourire aux lèvres et mangeait avec délice. Orion était aussi libéré d'un poids, plus souriant, et retrouver Xan lui avait fait beaucoup de bien. Et Hëna, elle semblait belle, sous le coucher de soleil, ses cheveux rouges brillaient, et son regard... Je secouai le visage, reprenant une part de pizza, et me concentrant sur leur conversation.

— Oui, mais tu vois, dans le livre elle présente l'amour comme un fardeau, qu'elle tente à tout prix de fuir, et pour elle, être une femme émancipée c'est fuir tout ça, mais on peut très bien l'être en étant amoureuse, argumentait Hëna, qui heureusement ne sentait pas mon regard sur elle.

— Mais je pense qu'elle a besoin de fuir ses sentiments pour se sentir émancipée, là vient toute la nuance, continuait Orion.

— Mais ce n'est pas pour cela qu'il faut absolument ne rien ressentir pour être émancipé !

— Je suis bien trop fatigué pour ça ! s'exclama Xan en s'allongeant, bras pliés sous sa tête pour observer les étoiles.

Je laissai échapper un petit rire, et allai m'allonger à ses côtés, lui murmurant :

— C'est des vacances, alors autant en profiter pour ne pas travailler !

— C'est toi qui dis ça ? s'exclama Xan en feignant une indignation exagérée, me provoquant encore un rire.

— Peut-être que je dis ça aussi parce que j'ai bu, mais ça fait du bien de se détacher de tout. De réelles vacances.

— Tu travaillais vraiment tout le temps ?

— Tout le temps, tous les jours pendant les vacances, sauf le dimanche. Et le dimanche je faisais du sport et je prenais soin de moi.

Xan haussa ses sourcils si haut que nous éclatâmes de rire, puis iel reprit son sérieux :

— Je t'ai toujours trouvée cool, toujours élégante, bien habillée, toujours éloquente lors des exposés, etc. Peut-être que j'étais aussi jaloux.se.

— J'ai atteint un stade où beaucoup de monde est jaloux, ça ne me dérange plus. Et merci pour les compliments, toi aussi tu es vraiment cool !

Xan murmura un « merci », en s'abandonnant au ciel au-dessus de nous, je l'imitai alors, en écoutant la discussion de mes camarades. Hëna débattait toujours sur l'amour et l'émancipation des femmes. Sa voix semblant lointaine me berçait, et je n'étais pas loin de m'endormir lorsque Xan me fit sursauter en s'écriant et se relevant d'un coup :

— Mais est-ce que vous vous rendez vraiment compte de tout ce qu'il se passe ? Dans notre école, tant d'histoires !

— T'en fais pas, le.a calma Orion, ils font tout pour le cacher à la presse, faudrait pas ruiner la réputation de la meilleure école de magie !

Nous rîmes, et Xan récupéra son verre, le remplit à nouveau et porta un toast :

— Levons nos verres à notre misérable vie !

Je m'assis en vitesse, Hëna me tendit mon verre que j'avais laissé un peu plus loin. Nous levâmes alors nos coupes avant de trinquer à l'ironie de cet instant. La conversation prit de l'ampleur, les trois parlaient, riaient fort, et j'avais l'impression d'avoir un brouillard épais autour de moi. Orion me sorti de mes nuages en agitant sa main devant mes yeux. Je repris conscience de ce qu'il se passait, des mots qu'ils prononçaient, et essayai même de m'intégrer à leur discussion. Mais Xan bailla fort et dit à Orion qu'iel allait se coucher, ce à quoi Orion répondit qu'il n'allait pas le.a laisser se retrouver seul.e dans la maison, et décida alors de l'accompagner. En partant, ils ramenèrent chacun une assiette vide et leur verre, nous laissant la dernière pizza et des boissons. Un instant de flottement se fit sentir après leur départ... Je me rapprochais alors légèrement d'Hëna, et levai le visage vers les étoiles pendant que le silence s'installait. Finalement, je dis :

— Je suis contente d'avoir passé ce moment avec Xan et Orion, ça me fait avoir une vision tellement différente d'eux.

— Je suis d'accord, ils sont tellement discrets d'habitude, je ne pensais pas pouvoir discuter aussi longtemps avec eux.

— Ça me fait du bien des moments comme ça.

Hëna tourna vers moi un regard doux agrémenté d'un sourire léger, elle avait l'air pleine de sincérité sous la lumière de la Lune. Puis elle murmura :

— J'ai rarement pris le temps d'observer les étoiles. Mes parents habitent en ville, alors le ciel n'est jamais suffisamment dégagé. Et là... C'est si beau. J'ai l'impression que tout l'univers me dépasse.

— Ça te fait réaliser que tu n'es pas aussi incroyable que tu penses l'être, c'est ça ?

Peut-être avais-je fait cette remarque dans l'unique but de voir le coin de ses lèvres remonter légèrement avant de lever les yeux au ciel, peut-être qu'en parlant, elle avait le regard vers les cieux, et moi, mes yeux rivés sur son visage... Peut-être que pour moi cet instant était précieux, et que le temps s'était arrêté pour me laisser la douce possibilité d'une contemplation. Peut-être que j'étais prête à abandonner toute ma rancœur pour une soirée.

Sous le murmure des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant