Chapitre 12 - Orion

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Deux jours que les cours avaient repris. J'étais tellement fatigué, je dormais peu depuis le retour à l'internat. Les fenêtres sans volets filtraient peu les rayons de la lune, et j'entendais le murmure des froissements de arbres au dehors. Je n'étais plus habitué à la foule, au bruit, au monde. Je perdais le contrôle, je perdais totalement le contrôle.

Les trajets dans les couloirs de pierre étaient un enfer pour moi. Tout ce bruit, toutes ces pensées qui s'emmêlaient, s'entremêlaient et jouaient entre elles. J'entendais tout. Rien ne me passait à côté. Les songes des autres me riaient au nez, me hurlaient dessus, et j'avais l'impression que j'allais exploser à chaque instant.

J'essayais de me poser, m'asseoir, fermer les yeux, me concentrer sur moi-même ; cela ne fonctionnait que quelques secondes avant de réentendre des « Je suis encore en retard pour le cours d'analyse magique », des « elle est vraiment trop belle je pourrais mourir pour elle », des « mais comment c'est possible que tout soit réglé en si peu de temps ? », et des « je ne pense pas que l'école soit réellement protégée », qui s'incrustaient et se mélangeaient dans mes pensées avec violence. Je me levai, m'adossai à un mur, levant la tête vers le plafond, priant pour un peu de pitié. Mais personne ne me prêtait attention. Tout le monde était concentré sur soi, sans se douter une seconde que mon pouvoir dépassait les bornes et que j'entendais tout.

Je ne savais que faire, j'avais tant besoin d'éteindre mon esprit, de tout effacer, me retrouver seul enfin, mais cela m'était impossible. J'avais juste besoin de dormir, de me reposer, de reprendre le contrôle sur moi-même... Mais je devais d'abord survivre à cette journée.

Titubant et tenant ma tête, je me frayai un chemin vers ma salle de cours, où je m'installai au fond de la classe, sous les pensées me jugeant. Mes camarades songeaient à leurs notes, à leur tristesse de reprendre les cours, à leur peur de la mort dans cette école en laquelle ils n'avaient plus confiance. Je les comprenais, mais qu'est-ce que j'aurais aimé qu'ils se mettent à la méditation et fassent taire leurs pensées.

Un mal de crâne me frappa comme un éclair, la douleur m'assaillit, et je dus agir comme si de rien n'était lorsque le professeur arriva. Parmi le brouhaha des pensées, je pouvais discerner les siennes ; il n'avait aucunement envie d'être ici, et regrettait déjà ses vacances à la maison avec sa femme. Je devrais peut-être essayer de dormir, même en classe, juste quelques secondes de silence me feraient du bien.

C'était la première fois que je perdais autant le contrôle de mon pouvoir ; aussi puissant qu'il puisse être, il comportait un certain risque. Quand je suis extrêmement fatigué, j'entends sans effort les pensées de dizaines de personnes autour de moi, voire plus, et il m'est impossible de les faire taire autrement que par le repos. Et depuis l'évolution de mon pouvoir, c'était pire que tout, encore plus facile de perdre le contrôle.

Je demandai à Xan en chuchotant s'iel pourrait me prêter ses notes à la fin du cours, iel acquiesça. Je me laissai alors placer ma tête entre mes bras, et m'excusais mentalement pour cette sieste au mauvais endroit. Je n'étais pas du genre à apprécier manquer de respect à des professeurs, mais je le devais, pour ma propre survie. Et si je me faisais convoquer chez le directeur, je n'aurais qu'à dire la vérité.

Même dans mon sommeil, j'avais l'impression d'être fiévreux, entouré de nombreux murmures incessants, je n'avais aucun repos, toujours sous la menace du bruit, aucune seconde de silence... Je me battais contre des esprits, des pensées translucides qui m'approchaient dangereusement. Et j'espérais ne pas faire de bruit ni de mouvement en dormant.

Je finis par me réveiller, tant la lumière, le cours et les bavardages, me distrayaient. Cependant, je pus reprendre un minimum de contrôle, je n'étais plus envahi par des centaines de pensées à la fois.

Je compris alors l'angoisse générale, j'ai tant senti de peur, d'anxiété, de tristesse, dus au risque de meurtre... Personne ne se sentait vraiment en sécurité désormais, j'espérais que le temps nous prouvera que nous ne risquions plus rien, j'espérais pouvoir connaître de nouveau la paisible vie que nous avions.

Cela me manquait, tout me manquait, même la relation amoureuse sans sentiments que j'avais avec Amélia... Juste le fait de savoir que quoi qu'il arrive je savais tout, que rien n'était hors de ma portée. La douceur de la vie quand tout allait bien et que mes seules peurs n'étaient que de ne pas passer l'année ou mettre du temps à m'endormir.

Et en une seconde tout fut bouleversé. Un événement et tout le monde ne fait plus jamais confiance à son environnement, et les mains tremblent à la grille d'entrée de l'université, et les pensées ne sont plus jamais calmes et douces. Une seconde et la lumière s'éteint, et plus personne pour l'allumer. Et je perds le contrôle, et Xan veut mourir, et mes camarades n'arrivent plus à suivre les cours, et les crises d'angoisse fusent dans tous les coins. Il nous suffit de si peu pour que tout s'effondre.

J'aurais d'autant plus considéré faire alliance avec le mal, rejoindre le diable et m'y associer, si je n'étais pas si empathique à cause de toutes ces voix qui me hantent lorsque je ne dors pas. Les détruire aurait été me détruire.

Et nous sommes tous égoïstes dans cette histoire.


Sous le murmure des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant