Chapitre 6 - Victoria

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— Salut, les mecs, hélé-je le binôme que forment dorénavant Damien et Romain.

Ce banc qui ne côtoyait que des fesses féminines l'année dernière — dont les miennes pour la majeure partie du temps —, voit, depuis ce début d'année, des paires masculines. Une habitude qui s'ancre petit à petit.

Le Damien solitaire de la rentrée a fait place à un nouveau, toujours accompagné de son acolyte. Mes émotions se mélangent, partagées entre la joie de le voir s'épanouir chaque jour un peu plus et un sentiment égoïste qui me pousse à le garder pour moi seul. Comme s'il représentait un concurrent.

— Bonjour, Victoria, me salue Romain en premier suivi par Damien.

Sa voix, constamment plus faible que celle de son ami, démontre un en train de plus en plus courant. Ma présence commence à devenir une habitude, il se détend au fil de nos rencontres.

— Alors prête pour les auditions de ce soir ? demande Romain curieux.

— Écoute, oui. C'est Mady qui gère. Elle est avec la coach justement. En réalité, je ne juge pas vraiment. Je ne suis qu'en soutien. Vous viendrez voir ?

— Nous ? s'étonne Damien.

— Oh, c'est vrai on peut ? s'enthousiasme Romain.

— Bien sûr, comme pour toutes sélections, c'est ouvert aux spectateurs. Par contre, évitez de venir distraire nos filles en tentant des dragues à deux balles.

— Compte sur nous, approuve Romain avec engouement.

Du coin de l'œil, le visage sidéré de Damien ne m'échappe pas. Il bredouille un truc inaudible à son ami en signe de désaccord, mais cède sous le sourire éclatant de ce dernier.

— Ouais, OK, je serais là aussi, capitule-t-il.

La musique résonne déjà dans le gymnase quand je dépose mes affaires sur un banc. Je jette un œil aux alentours. L'événement a attiré bon nombre d'étudiants, de quoi mettre en situation réelle les potentielles futures cheerleaders. Je frotte mes mains pour me réchauffer et trottine pour prendre place parmi mes coéquipières.

— Alors Mady, prête ?

— Oui oui. Faudrait que tu prennes quelques notes aussi, des fois qu'on n'arrive pas à se décider avec Sandy. Je ferais appel à ma seconde, me glisse Mady.

J'acquiesce tandis que Sandy incite au rassemblement. Les filles s'attroupent devant la coach.

— Bien. Merci d'être présente ce soir. Je suis Sandy, coach de cheerleading depuis plus de huit ans. Si vous êtes ici, c'est pour intégrer l'équipe universitaire. Cette année, j'attends beaucoup de vous. J'aimerais monter une équipe de compétition digne de ce nom et pas seulement un groupe pour animer les événements sportifs au sein de l'établissement. En d'autres termes, cette année, je vois grand. Avec Mady, la capitaine, nous avons décidé de modifier le fonctionnement habituel des sélections. Ce soir, seules les nouvelles recrues seront jugées pour intégrer l'équipe.

Des souffles soulagés font échos au mien. Le peu de pression que je ressentais s'est évaporée. Je jette un coup d'œil complice à Mady, lui signifiant qu'on reparlera de tout ça en privé. Quelle cachottière !

— Une nouvelle phase d'audition aura lieu dans quelques semaines pour désigner les membres de l'équipe de compétitions que je souhaite créer. Que vous soyez nouvelles ou anciennes, vous aurez vos chances.

OK, là, la tension monte d'un cran aussi bien dans l'assemblée qu'au sein de l'équipe. Le message s'imprègne dans mon cerveau. J'ai déjà ma place parmi les cheerleaders, mais rien ne me dit que je l'aurais pour la compétition.

Sandy envoie les jeunes femmes s'échauffer avant de les faire passer par binôme.

Les candidates défilent, s'appliquent, se trompent parfois, mais surtout excellent. Le niveau laisse entrevoir une belle saison et ouvre les portes de l'espoir avoué de notre coach. Elle ne cache pas son sourire.

Le public crie, applaudit, siffle. Les étudiants en rut bavent devant les danseuses. Leurs regards descendent sur les courbes des corps en mouvement. Je repère Damien qui semble peu intéressé par le spectacle. Ses yeux balaient l'espace sans trouver d'accroche. Il arrête son triturage de doigts lorsque ses pupilles plongent dans les miens. Et pour la première fois, elles se stoppent. Il me sonde. Je le sonde. Et un sourire timide se dessine sur ses lèvres. J'en oublie où je suis.

Un coup dans les côtes me ramène à la réalité.

— C'était vraiment pas mal, s'enthousiasme Romain quand il arrive à mon niveau.

— Ouais, t'as vu ça ! Le choix va être dur, réagit Mady avec la même euphorie.

Et les deux partent dans un débat qui les anime. Je retrouve mon timide en retrait et même si je connais sa réponse, je me risque à lui poser la question :

— Alors, qu'en as-tu pensé ?

— Euh... j'avoue que ce n'est pas trop mon truc.

— Qu'est-ce que tu n'aimes pas ?

— J'en sais rien. L'ambiance ? L'attention ?

— Tu as peur qu'on te voie la mâchoire décrochée devant une nana ? me moqué-je.

Sa tête se détourne.

— Toi, va falloir que tu prennes un peu confiance en toi ! Je ne sais pas ce qui t'a rendu comme ça, mais tu pourrais mettre n'importe laquelle d'entre elles à tes pieds.

Ses yeux surpris me survolent.

C'est pas gagné!

Je ne sais pas comment reprendre la main sur cette discussion maintenant qu'il s'est refermé comme une huître et contre toute attente, c'est lui qui réengage la conversation.

— Pas trop stressée de devoir faire des auditions aussi ?

— Un peu, j'avoue. Mais je pensais déjà devoir le faire ce soir. Après, à mon avis pour l'équipe de compet, l'exercice sera plus dur.

— Tu fais ce sport depuis longtemps ? s'intéresse-t-il.

Sans le montrer, je jubile.

— Non seulement depuis l'année dernière, mais j'adore, j'y ai vraiment pris goût. Tout est de la faute de Mady, la pointé-je du doigt.

À peine ma phrase terminée, je me fais bousculer par un groupe d'étudiants.
Tomas. Lui et ses gros sabots sabotent mon moment de gloire avec Damien. Je me mords la joue pour le pas l'envoyer balader.

— On va boire un coup ? me propose mon meilleur ami. Histoire de débriefer sur les nanas que je veux avoir en groupie.

Un coup d'épaule qui ne le fait bouger d'un iota témoigne de mon outrage.

— Sérieux Tomas.

— On y va ? Je plaisantais... à moitié, termine-t-il en prenant la sortie.

Mady lui emboîte le pas.

— Tu nous accompagnes ? me risqué-je auprès de Damien.

Ses deux billes s'activent, il réfléchit trop longtemps à mon goût.

Je l'attrape par la main et l'entraîne à ma suite. Il agrippe le tee-shirt de Romain sur son passage et nous voilà tous partis pour un moment décontracté au bar. Ma paume contre la sienne savoure ce contact et profite plus que nécessaire. À contrecœur, je délaisse sa peau lorsque le groupe se faufile pour quitter le gymnase par l'unique porte battante surchargée.

Learn to trustOù les histoires vivent. Découvrez maintenant