CHAPITRE VINGT-SIX

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HUGO

Il est vingt heures et le sommeil commence à pointer le bout de son nez. Yann regarde encore et toujours cette maudite télévision. Mais le programme de ce soir, c'est un petit film. Mon génie de voisin à emmener son câble HDMI pour le relier à son ordinateur jusqu'à la télé.

Plusieurs soignantes sont entrées dans la chambre et nous ont passés un sacré savon. Certaines n'ont rien dit et ont continuer leur travail. Lorsque les soignants grognaient, Yann leur a gentilement répondu :

- Bah quoi ? On s'ennuie dans cette chambre ! Il n'y a jamais rien sur les autres chaînes ! Autant mettre ce qu'on aime, non ?

J'avoue, j'ai ri en voyant leur tête se décomposer. Elles ont fini par ne plus rien ajouter.

Pendant ce temps, je suis plongé dans ma lecture d'un recueil de poèmes.
Lait et miel de Rupi Kaur.

Ce recueil est tellement particulier. Il est partagé en plusieurs parties, décrivant la souffrance, l'amour, la rupture et la guérison.

Ce n'est pas la première fois que je le lis. Je dirais même que c'est la cinquième. La première fois, je n'ai pas fait attention aux textes. C'est quelques mois plus tard, après avoir entendu plusieurs avis venant de maman, à qui j'ai passé le recueil, que je me suis décidé à le relire. C'est à partir de cette relecture que j'ai pris conscience de la signification de chaque mot.

Il y en a un en particulier qui m'a frappé, qui se trouvait dans la partie de la rupture :

J'ai parcouru tout ce chemin pour te donner toutes ces choses mais tu ne regardes même pas.

J'ai immédiatement pensé à mon père.

Dans cette phrase, il y a une part de vérité. L'autre est discutable.

Une partie de mon enfance s'est tournée dans le domaine de l'athlétisme. Mon père m'emmenait courir tous les week-ends à l'ASPTT de Rouen, sur cette grande piste que j'ai toujours aimé parcourir.

Mais lorsqu'il a appris ma maladie, il s'est renfermé. Il a voulu que je continue. Il me disait que la douleur était dans la tête et que je ne devais pas y penser. Mais lorsque je me suis retrouvé sur cette piste, il a détourné du regard. Je courais, courais, courais... jusqu'à en avoir des hauts de cœur. Mais lui trainait sur son téléphone, ne faisait guère attention à moi.

Je ne voulais pas le décevoir même lorsqu'il a commencé à divorcer avec maman. J'allais courir encore et encore et m'enfonçais dans un jeu très dangereux. Lorsque je rentrais à la maison, je tenais à peine sur mes jambes. J'ai eu plusieurs malaises cardiaques qui inquiétait énormément maman.

Mais papa s'en foutait royalement.

C'est seulement lorsqu'il est parti que je me suis rendu compte de tout ce qui m'a fait vivre. Il m'a ouvertement mis en danger, me faisant croire que je n'étais pas malade et que tout était dans la tête. J'ai su quelques temps après que ma vie allait changer, que plus rien ne sera jamais comme avant.

Depuis, ma rage contre lui s'est agrandie. La liste des raisons de ma haine s'élève fortement.

Il aurait pu me faire mourir...

Je repense toujours à ces fois où je courais comme un malade, les cheveux dans le vent, le regard fixé vers le prochain virage que je m'apprêtais à prendre. L'adrénaline ne cessait jamais de couler dans mes veines.

Je me sentais libre comme l'air.

L'athlétisme ne quitte jamais mon esprit. J'ai envie de retourner sur ces pistes et de recourir à nouveau. Une question tourne en boucle dans mon crâne. Si je sors enfin de cette misère, est-ce que je pourrais courir à nouveau ?

Pour toi mon cœur [Second Jet]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant