Rodrigue avale cul sec son quatrième verre de whisky. Sa main tremble. Des boules de sueurs ruissellent sur son visage, il respire fort, comme si son cœur veut foutre le camp de sa poitrine. Rob est assis à côté de lui, ils sont tous les deux au bar. Derrière eux, il passe un match de foot à l’écran. Les autres sont regroupés autour de la télé, ils avalent leur bière tranquillement.
Quand Rob a accepté de rejoindre Rodrigue au Bar Minch, il avait espéré le temps d’une seconde passer une soirée peinard à boire. Le foot ne l’intéresse pas tellement, mais le coin est sympa. Et puis, tout est toujours préférable si l’autre option est de passer la soirée avec Carole. Elle est complètement cinglée en ce moment, depuis que Rob est au chômage c’est la guerre. Elle en a assez de payer les factures avec son maigre salaire de flic. Elle n’est pas vraiment flic, elle range de la paperasse dans un commissariat de l’autre côté de la ville. Elle a dégoté le job grâce à une connaissance à Rob.
Rodrigue l’a téléphoné il y a une heure. Un scoop de dingue à raconter qu’il disait. « Je dois à tout prix te raconter ça », a-t-il dit. Rob avait dit « ok ».
Il avait grimpé dans la bagnole de Claire et il est venu. Rodrigue était déjà au bar, avec une bouteille et quatre verres devant lui. Pâle comme un linge. Rob s’est assis et a commandé une bière. Il crevait de faim alors le barman lui a offert des cacahuètes pour calmer le feu. Rodrigue toujours occupé à s’enfiler son verre l’un après l’autre, tremblant comme une feuille. Après un quart d’heure, le bougre finit par délier sa langue.
— J’ai vu le mal, Rob, le mal ! Il dit.
Rob le lorgne du coin de l’œil, sa bouteille contre les lèvres. Lentement, il prend une goulue bien fraîche. Il attend.
— Dans les bois… c’était dingue. Je tremble rien que d’y penser. Je t’assure que je me suis pissé dessus. Il y a le diable dans cette forêt, Rob. Sans déconner… je…. Je n’arrive pas à en croire mes yeux moi-même.
Rodrigue repose brutalement son verre, se prend les visages à deux mains. Il reste comme ça durant une poignée de secondes avant d’être secoué par un sanglot sourd. L’anxiété de Rob grimpe aussitôt. Il ne sait pas quoi dire, n’a jamais été doué avec les mots, ni les gens. Rodrigue ne pleure jamais. Jamais… La bestiole qu’il a croisée dans les bois devait être un sacré quelque chose. Ils doivent avertir la police avant que ce truc ne fasse du mal à quelqu’un. Rodrigue gagne sa vie en posant des pièges en forêts. Il revend ses carcasses à des entreprises qui fabriquent de la bouffe pour animaux. S’il y a une bête pareille qui rôde dans ses bois, il a raison de s’en faire un sang d’encre.
— Faut pas te mettre dans des états pareils mon vieux, rassure Rob. Je suis certain que tout va s’arranger. Et puis, il y a les flics, ils vont faire quelque chose. Rodrigue secoue la tête avec vigueur, il agrippe le bras de Rob avec une telle force que ses doigts s’enfoncent dans sa peau malgré les couches de son blouson. Rodrigue plonge son regard horrifié, hystérique dans le sien… Rodrigue réussit à lui filer les jetons.
— Ce truc que j’ai vu Rob, il balbutie. Les flics peuvent pas le trouer, je te dis… ils peuvent pas le trouer. Ce truc… ce truc… ce truc…
Les poils de Rob se hérissent, électrifiés par la peur. Les doigts de Rodrigue sont comme des serres sur son bras. Son visage est déformée par la peur. Rob est pétrifié par l’image devant lui. Jamais il n’a vu Rodrigue dans cet état. Rodrigue a vécu tellement de trucs effrayants et dangereux. Il n’a jamais les jetons. Jamais…
— T’as vu quoi au juste ? Il finit par demander, même si son estomac se noue sous le poids de l'anxiété.
Rodrigue le lâche enfin, éclate en sanglot derrière ses mains qu'il a plaqué contre son visage. Rob est désemparé.
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It's watching us
HorrorRob Stone vit peinard dans un petit coin d'à peine 2000 habitants entre sa petite-amie hystérique et les cascades de factures. Depuis qu'il est au chômage, les seules choses qui lui permettent de tenir la tête hors de l'eau dans ce quotidien à chier...