Les Précepteurs du Я - Âmes Sentinelles (Tome I)

Chapitre XI - premier rapport

2015, octobre, lundi 19, 17h33.

     Je marchais depuis quelques minutes, ressentant toute la fatigue accumulée depuis trois jours dans mes jambes et mes articulations. Le son des pas sur la terre humide me rappelait ceux de tout à l'heure, alors que j'avais quasiment emprunté le même chemin avec Shams. Cette fois-ci je me dirigeais vers une table en extérieur, celles qui se trouvaient à l'opposé du lieu où le corps d'Alastor Brown avait été retrouvé. Je me languissais de pouvoir me reposer après cette journée, mais malheureusement, il n'avait pas prévu les mêmes plans que moi.

     — T'en veux ? Je paris tous mes billets que t'as pas mangé ce midi.

     Jun me tendait un sandwich qui devait faire trois fois la taille de ma main. Mon ventre gargouilla comme pour lui donner raison. Il sortit de son sac un second sandwich et un troisième en suivant. J'acceptai son offre et le vis foncer sur un banc pour entamer son repas. Il me cria de me dépêcher sous peine qu'il reprenne mon sandwich, et comme si mon ventre avait parlé à nouveau, j'accélérai le pas.

     — Si t'as encore faim après il en reste.

     — D'où te vient cet élan de générosité ?

     — Pose pas de questions ou je te fais bouffer ton pain moi-même.

     Généreux mais pas aimable. Merci pour le repas. Alors que je m'apprêtais à taper un premier croc dans mon repas, l'image d'un animal affamé m'en empêcha. Il mangeait comme une vache broutant de l'herbe. Ses lèvres étaient tartinées de sauce worcestershire accompagnée de petits morceaux de pain. Sa mâchoire semblait se détacher à chaque fois qu'il écrasait sa nourriture, bien heureusement qu'il ne mangeait pas la bouche ouverte sinon mes yeux n'auraient pas pu le supporter. Quelle élégance...

     A tout bien réfléchir c'était la première fois que l'on mangeait ensemble, pendant des mois sur des affaires toutes plus sanglantes les unes que les autres nous n'avions jamais partagé un repas à deux. Pas fameux comme premier rencard, je compatis avec Stone sur ce coup-là.

     — Bon le minus, reprit-il avec du pain entre les dents, t'es peut-être pas le plus doué avec tes pieds mais t'en as dans la cervelle alors récapitulons depuis le départ, là et quand tout a commencé. Vendredi 16 à 19h08, annonça-t-il en se levant devant moi comme pour animer ses paroles, le Docteur Price vient chercher Sao Zo et l'amène jusqu'au troisième étage, et après deux interrogatoires il soutient toujours qu'il ne sait pas où elle est passée après ça.

     — Il aurait un mobile ?

     — Aucun pour l'instant, mais il n'a pas d'alibi non plus, alors il est en tête de liste chez les médecins. Mais depuis 18h30, reprit-il en me menaçant du bout de son sandwich, Melvyn Blom traînait dans l'hôpital ! Nous sommes incapables de savoir à quelle heure il est partit étant donné que les vidéos se coupent à 19h17, mais les caméras de vidéosurveillance de l'immeuble de Sao Zo montre qu'il y est allé à 19h30.

     — C'est lui qui a saccagé son appartement ?! m'écriai-je en faillant m'étouffer avec un morceau de fromage.

     — C'est très probable oui, on a retrouvé ses empreintes chez elle mais s'ils se côtoyaient régulièrement ce n'est pas si étonnant que ça.

     — Pourquoi est-ce qu'il était autant énervé... ?

     — J'aimerais aussi beaucoup le savoir, râla Jun en tapant un énième croc dans son sandwich.