Les Précepteurs du Я - Âmes sentinelles (Tome I)

Chapitre II - mon ciel sous leur terre

2015, octobre, mardi 20, 04h03.

     A peine étais-je arrivé que Jun répétait à s'en briser les cordes vocales que je n'avais aucun sens des priorités et qu'il pourrait pleurer en me voyant. Par sens des priorités il voulait parler de mon alimentation et de mon sommeil qui l'un comme l'autre était bien le dernier de mes soucis. Il harcelait des hommes vêtus de gilet fluorescent pour me donner ne serait-ce qu'un morceau de pain alors qu'il ne m'avait pas encore présenté à eux. Je me cachais malgré moi derrière lui pour ne pas ressentir la honte d'être traité comme un moineau égaré. Il finit par se taire et me dévisagea avant de souffler les yeux au ciel.

     — Pardonnez-moi, ce gamin m'épuise tellement que j'en perds mon sens des responsabilités. Pouvez-vous lui expliquer de quoi il en retourne ?

     — Aucun problème. Docteur, mes collègues ici présents effectuaient leur tournée comme chaque nuit, mais ils affirment avoir découvert un corps à environ quarante mètres du regard juste derrière vous, expliqua-t-il en désignant une bouche d'égout déjà ouverte, tandis que Jun s'éloignait vers leur camion. Vu les circonstances, l'enquêteur et moi-même avons conclu qu'il serait préférable que vous descendiez vous-même, avant que le corps ne devienne inanalysable. Seulement, il s'agit de couloirs étroits et sales, que je ne recommanderais ni à un maniaque ni à un claustrophobe. Accepteriez-vous de nous accompagner ?

     — Je ne suis pas venu pour repartir chez moi alors oui bien sûr, dîtes-moi ce que je dois faire.

     L'égoutier me sourit et repartit là où Jun s'était rendu. Ils revinrent à peine quelques minutes plus tard, tous deux accompagnés d'un sac noir. On m'en refilait un et je découvris tout l'attirail que je devrais porter pour que la zone d'assainissement m'accepte entièrement.

     Habillés d'une combinaison transparente, je regardais Jun mettre ses immenses bottes qui lui arrivaient au dessus des genoux tandis que je peinais à garder mes cheveux à l'intérieur de cette capuche bien trop grande pour moi. Ils ont du XXL pour Jun mais pas du S pour moi, sérieux le monde marche à l'envers. Nous mettions en même temps un casque de sécurité munit d'une lampe frontale et un gilet jaune fluorescent qui venait décorer notre combinaison pâle. Le glamour n'était pas au rendez-vous, et l'expression de Jun ne mentait pas sur son inconfort.

     — Je t'interdis d'en parler à qui que ce soit minus.

     — Vraiment ? Dommage, je me voyais déjà raconter cette histoire à Stone. On prend une photo ? plaisantai-je en savourant ses yeux glacés de haine.

     Comme vengeance, Jun n'avait trouvé qu'une simple pichenette sur mon front, et malgré ça je sentais encore la douleur après trois minutes de pseudo-guérison. Alors que quatre plots entourait la plaque d'égout déjà retirée, les professionnels d'assainissement nous expliquèrent en détails les règles de sécurité une fois à l'intérieur des canalisations. Je n'y comprenais que les grandes lignes, j'étais plus préoccupé à regarder la dégaine de Jun dans une tenue d'égoutier. Ça je m'en souviendrai toute ma vie.

     Pendant que Jun persistait à me lancer un regard noir, un premier égoutier descendit par l'échelle, où comme l'aurait souligné Shams, dans l'antre des tortues ninjas. Après seulement deux minutes de descente une voix retentit depuis l'ouverture du regard, signe qu'il était arrivé en bas. Vint mon tour. On m'accrocha une sangle au niveau du dos, celle-ci étant maintenue par trois grands piques encerclant la fosse ; ce système permettait d'être maintenu en cas de chute pendant la descente à l'échelle. Je descendis en attrapant les barreaux un à un, en vaillant à ne pas glisser à cause de mes bottes en caoutchouc. Une odeur nauséabonde se déferla dans mes narines, malgré l'habitude de ce genre d'odeur je ne pus m'empêcher d'ingurgiter mauvaisement ma salive. Jun va tourner de l'œil, pensai-je en souriant mauvaisement.