Chapitre 37 : Juste une nuit

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Il est 00h06 lorsque je me réveille en sursaut. Mon inconscient est réglé comme une horloge quand il s'agit de me torturer.

Ma vue se floute aussitôt que mes yeux se posent sur la date que mon téléphone affiche, ma poitrine se compresse dévorée par un trou suintant de venins. Je caresse le tatouage sous mon sein du bout du doigt tel qu'on le ferait avec une plaie béante, comme si une douleur déchirante pouvait irradier de ce geste. Et c'est le cas. J'étouffe un sanglot dans ma main. Dans précisément vingt-deux heures et dix-huit minutes, ça fera six ans qu'il est parti pour rejoindre les étoiles. Et comme tous les seize aouts depuis six ans, je resterai seule avec mes souvenirs, assiégée par mes émotions qui m'étouffent. Pourquoi je n'arrive pas à passer à autre chose ? Pourquoi je refuse de le laisser partir ?

Je me sens abandonnée. Et là, seule au milieu de ma chambre, le regard perdu sur les ombres dansantes de mon plafond, je n'aimerais qu'une chose : que la douleur m'abandonne elle aussi. Si je le pouvais, j'ordonnerais à mon cerveau de ne plus penser, je coulerais du béton autour de mon cœur pour le retenir prisonnier de telle sorte qu'il ralentisse encore et encore pour se faire le plus silencieux et discret possible afin d'échapper à son ennemi Douleur. Pourtant, rien ni personne ne peut battre la dictature qu'elle avait mis en place. Et bien qu'on dise que le temps est le seul remède, même lui semble avoir rendu les armes. Et sans mon seul allié, sans Ace, je n'ai pas d'autres choix que de subir le siège de ma douleur.

Chaque photo élargie le trou dans ma poitrine. Le visage souriant de mon père me manque tellement. Comment aurait été ma vie s'il ne l'avait quitté ? Cette question est dévastatrice alors je la chasse sitôt qu'elle traverse mon esprit. Pourtant malgré tous mes efforts, elle persiste créant différentes hypothèses, formant de multiples images de nous deux. Sans lui, je ne serais pas la femme que je suis aujourd'hui mais s'il avait été là, je suis sûre que j'aurais été une meilleure version de moi-même. Il ne m'aurait jamais laissé déchirer notre famille, car oui, je suis consciente que je suis à l'origine de nos relations désastreuses. Cet aveu me couvre de honte. Il doit tellement être déçu de voir que je n'ai pas été assez forte à sa mort. Valencia l'a été bien plus que moi. Je n'ai pas été à la hauteur de ses attentes ni à l'image de ma mère qui est la guerrière de notre famille. Je n'ai pas réussi à supporter le poids de son absence. Sa mort a été brutale et je n'y étais pas préparée. Mais comment l'être face à l'homme de notre vie ? Celui qui est là depuis notre premier jour de vie.

Une larme solitaire dévale ma joue rebondie par mon sourire lorsque je tombe sur cette magnifique photo bien qu'un peu flou. Je sourie de toutes mes dents car il me fait tournoyer dans les airs. En arrière-plan, ma Shelby brille sous le clair de lune. Elle a été prise à l'entrepôt après une course qu'il avait gagné haut la main. Je l'admire, nostalgique. Je donnerai tout pour retourner à cette époque où ma seule préoccupation était de savoir si mon père allait m'autoriser à participer à une course à ses côtés.

La gorge nouée, je poste la photo dans ma story Instagram.

Encore et encore je fais défiler mes photos, me remémorant chaque souvenir qui y sont lié, jusqu'à que je tombe sur mon visage gribouillé de dessins salaces. Cette photo m'arrache un sourire sincère. Ace a été un vrai réconfort dans ma vie.

Soudain, une notification Instagram s'affiche en haut de mon écran. Mon cœur loupe un battement avant d'entamer une course folle. Et malgré ma conscience qui m'hurle que c'est une mauvaise idée, je ne peux résister à l'envie d'épier son compte. Sa propre story est alimentée par plusieurs photos datant de la nuit dernière où l'on peut le voir au côté d'Isaac, Thomas, Lili ou même d'autres filles toutes plus belles les unes que les autres. Son visage aussi dur que la pierre me retourne l'estomac quand je me rappelle combien il souriait avec moi.

Hasta la muerte (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant