Chapitre 51 : Marius

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— Maman ? s'étonna Marius en rentrant dans la cuisine.

À cette heure-là, il aurait dû trouver l'une de ses sœurs, voire les deux s'il avait de la chance, mais certainement pas sa mère. Elle avait attaché ses cheveux sous un foulard pour faire la cuisine – des muffins aux myrtilles, à en juger par les fruits posés sur le plan de travail – et restait concentrée sur la préparation qu'elle mélangeait énergiquement.

— J'ai pris une journée de congés parce que j'avais envie de me reposer et de passer la journée avec mon fils.

— Je suis censé aller en cours.

Marius ne prétendit pas avoir vraiment l'intention de s'y rendre parce que ça aurait été un mensonge, et il ne mentait jamais à ses parents, même quand celleux-ci l'agaçaient.

— Lyra m'a dit que tu avais du mal en ce moment. Et Alyssa s'inquiète aussi. Alors je me suis dit que c'était l'occasion qu'on passe une journée ensemble. En plus, j'ai des choses à me faire pardonner. Je n'ai pas été correcte avec toi en insistant à ce point pour que tu trouves une copine.

Il s'attendait à ce que ses sœurs parlent à leurs parents – c'était même la raison pour laquelle il ne leur avait rien dit, au début – mais il n'aurait jamais anticipé les excuses de sa mère, alors qu'elle avait insisté pendant des mois pour qu'il trouve une copine comme s'il s'agissait de la seule condition de son bonheur.

Marius s'installa à la table de la cuisine et se prépara ses tartines au miel habituelles, pendant que sa mère ajoutait les myrtilles dans la préparation. Elle mit les muffins au four et lui versa son verre de jus d'orange sans pulpe avant de s'asseoir face à lui, sans prendre la peine de laver ses mains pleines de farine.

« J'imagine que tu viens pas aujourd'hui ? »

Un message de Nina.

« Non, tu pourras me filer les cours ? »

Iels savaient aussi bien l'un·e que l'autre qu'il ne les lirait pas, mais ça le rassurait de les lui demander parce qu'il gardait au moins la possibilité de finir ses études, même s'il ne savait pas encore s'il en avait vraiment envie.

— Je suis désolée d'avoir été aussi insistante avec toi pour cette histoire de couple. Je ne comprenais pas à quel point tu étais différent de moi et de tes sœurs. Même si tu es mon fils, tu es aussi ta propre personne. J'aurais dû le comprendre bien plus tôt, au lieu de m'énerver parce que tu ne comprenais pas mon point de vue.

— Merci.

— Pourquoi ?

— Parce que beaucoup de personnes s'excusent jamais, même si elles savent qu'elles ont tort.

La mère de Marius sourit doucement.

— J'ai eu beaucoup de mal à m'y résoudre, alors je sais à quel point ça peut être difficile. Mais tu es un adulte aujourd'hui et tu mérites que je te traite comme tel, et pas comme si je savais tout sur tout.

— C'est pour ça que je te remercie, même si tu le dis vachement mieux que moi.

Marius termina de manger en regardant sa mère sortir les muffins du four, avec des gestes lents et calculés, comme si elle avait tout le temps du monde – ce qui était sans doute vrai. Lui se pressait sans cesse, voulait profiter de tout à chaque instant, finissait par ne profiter de rien. Peut-être qu'il avait plus de choses à apprendre de sa mère qu'il ne le pensait.

— Par contre, je voulais quand même te parler des cours. Tu as décidé d'abandonner ?

— Je sais pas.

C'était la réponse la plus simple qu'il puisse faire parce que la situation était encore confuse dans son esprit. Le regard de sa mère se fit plus intense, comme si elle essayait de lire dans ses pensées – ce dont elle était sûrement capable.

— J'adore la philo, c'est toujours vrai, mais je déteste aller en cours, réviser et faire semblant d'en avoir quelque chose à faire des examens alors que j'ai aucune idée de ce que je veux faire ensuite. Et si j'abandonne... Je sais pas ce que je peux faire d'autre, c'est le vrai problème. Alors je me dis qu'il vaut mieux continuer, au moins jusqu'à la fin de l'année, pour valider mes crédits et peut-être changer de filière.

— Tu penses que ce sera mieux si tu étudies autre chose ?

Marius secoua la tête, même s'il s'agissait d'une question rhétorique.

— J'ai besoin d'un but, mais j'ai envie de rien. Aller à la fac, ça me paraissait être la meilleure solution pour me donner du temps, sauf que ça fait un an et demi et j'ai toujours pas trouvé ce qui me plaît dans la vie, à part discuter de philosophie avec mes amis et boire des bières.

— Alors je te conseille de travailler sérieusement pour les cours en attendant d'avoir un plan de secours parce que je ne veux pas que tu te retrouves sans rien. Tu es un garçon intelligent, Marius. Tu t'en sortiras quoi que tu décides de faire, pour peu que tu décides de faire quelque chose.

— Ouais, je sais, marmonna-t-il.

— Mais n'abandonne pas tout sans savoir pour quoi tu le fais, d'accord ? Tu peux me promettre ça ?

Il acquiesça, ce qui l'engageait puisqu'il ne mentait jamais à ses parents, alors qu'il aurait préféré garder ce problème pour lui. Ça lui apprendrait à avoir des sœurs qui le connaissaient trop bien et s'inquiétaient pour lui...

— Et si tu as besoin d'aide pour trouver des alternatives, tu peux toujours me demander ou en parler à ton père. Même Lyra et Alyssa doivent avoir des contacts qui t'aideraient.

— Pour ça, il faudrait déjà que je sache ce que je veux faire à part tout abandonner.

— Ne sois pas défaitiste, dit sa mère en posant la main sur la sienne. Peut-être que ça prend plus de temps pour toi que pour les autres, mais toi aussi, tu trouveras ta voie.

Marius aurait eu beaucoup de choses à rétorquer si ça avait été n'importe qui d'autre. Mais il y avait une telle ferveur, une telle confiance dans la voix de sa mère qu'il n'eut pas le cœur à réduire ses espoirs à néant en se comportant comme un gosse capricieux. Et elle parvenait presque à lui donner foi en l'avenir, une émotion qu'il n'avait pas ressentie depuis longtemps.


Comme une comédie romantiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant