VIII - Shoross

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Il m'a fallu faire appel à tout mon self-contrôle pour relâcher la petite femelle après notre baiser. Je n'avais pas pensé qu'un être en apparence si fragile aurait pu se montrer si entreprenant. Mais Mia n'est ni faible ni fragile. Je m'en suis rendu compte au moment où elle s'est apprêtée à sauter sur Nivian au club. Si je n'avais pas été là pour la retenir, elle se serait jetée sur ma congénère sans hésitation, et sans réfléchir aux conséquences. Je me rends compte une fois de plus à quel point elle ne connaît rien de nous. Un Cargaris même femelle reste un Cargaris, elle n'avait aucune chance. Nivian ne l'aurait pas tuée, au risque de déclencher des conflits avec les humains, j'avais donné des ordres clairs à ce sujet, mais elle aurait facilement pu lui briser quelques os pour s'amuser. Je sens une rage monter en moi en imaginant Mia, agonisante de douleur, les membres brisés. Cette femelle me fait perdre mes moyens, je ne me reconnais plus. Ma vie était organisée, prévisible. J'avais accepté la mission de commandement confiée par les dirigeants de ma planète Udaris en vue d'établir un échange de bon procédé avec les humains. Une mission que j'avais préparée avec soin, anticipant les moindres failles potentielles. Canaliser un vaisseau de Cargaris mâles n'avait pas été facile, mais je savais que personne n'oserait défier mes ordres, j'avais la situation sous contrôle. Le fait est que c'est moi qui ne suis plus sous contrôle. Perdre mes moyens face à cette petite femelle primitive ne faisait pas partie de ma mission.

J'imagine déjà la mine ravie des membres du conseil à l'idée que mes instincts me poussent à produire une descendance. Des années qu'ils ne cessent de me pousser à choisir la femelle qui porterait au moins un petit. Les lois de mon peuple étaient très claires là-dessus. Les primes devaient perpétuer la puissance de la race en engendrant les futures élites. Je jouissais jusque-là d'une relative tranquillité due à mon rang et ma réputation. J'avais gagné de par mes actions une sorte d'immunité temporaire, mais je n'ai pas été sourd aux sous-entendus à peine masqués des anciens au moment de mon départ, me suggérant de me choisir une femelle, à défaut de quoi cette mission pourrait bien être ma dernière en tant que commandant.

Une déferlante de pensées parasitait mon esprit alors que je traversais les rues du quartier général. J'avais déposé l'objet de mes tourments chez elle après notre écart de conduite. Je l'avais portée jusque dans sa chambre, complément épuisée et alcoolisée, et elle s'était endormie instantanément. Mon corps commence à se crisper, imaginant un autre scénario ou un Cargaris autre que moi l'aurait raccompagnée et poussé son avantage en la prenant alors qu'elle était à moitié consciente. Nous avons des besoins sexuels importants, une sorte d'exutoire pour décharger un trop-plein d'énergie sous peine de devenir violent, mais certains mâles contiennent mal ces pulsions. Je revois Mia sur la piste de danse, se faire attraper par ce fourbe de Xortès. Elle aurait pu se faire attraper par n'importe quel mâle, mais il avait fallu que ce soit l'élément le plus retors de mon bataillon. Un Prime, dévoré par l'ambition et qui n'attend qu'un seul faux pas de ma part pour prendre ma place de commandant. Je le sais tenaillé à petit feu par l'aigreur de me tenir pour responsable de n'avoir toujours été que le second dans nos classements militaires que je réussissais toujours haut la main. J'avais toujours accueilli avec humilité les congratulations de nos dirigeants sans en faire l'étalage, mais ma modestie n'avait pas apaisé le sentiment d'humiliation que nourrissait Xortès envers ma personne et il tentait par tous les moyens de s'illustrer lors de nos missions.

Perdu dans mes pensées, mes pas m'amènent rapidement devant ce que les humains appellent le bâtiment administratif, censé être leur centre de commandement. Une femme à l'accueil se lève en me voyant pénétrer dans l'entrée, mais comme à mon habitude, je n'en fais pas cas. Après tout, je ne suis pas venu sur cette planète pour me plier aux us et coutumes des humains. Je me dirige sans ralentir vers le bureau de leur « président », un homme cupide et ventripotent qu'ils ont élu à leur tête. Si nos élites étaient choisies en fonction de leur force et leur valeur maintes fois prouvée sur les champs de bataille, il n'en était rien chez les humains. J'avais développé une sorte d'aversion pour cet individu qui avait été trop prompte à livrer les femelles sous sa protection.

Bien avant que notre alliance ne commence et ne connaissant pas les raisons de notre venue, le lâche n'avait pas hésité à envoyer un groupe de femme apeurée en « cadeau de bienvenue ». Nous avions immédiatement ramené ces femelles en pleurs et posé les termes d'un contrat plus équitable et basé sur le volontariat. Ce pleutre s'était bien évidemment empressé de tirer profit de notre générosité pour son compte. Je traverse le long couloir en direction du bureau du président, entendant les bruits de pas de la femelle de l'accueil qui tente de me suivre en me demandant de m'arrêter. Ma carrure massive, emplit l'espace, empêchant la petite femelle de me dépasser. Arrivé au bout du couloir, je pousse les deux grandes portes en bois massifs et pénètre dans le bureau richement décoré du président. Une rapide vérification des lieux m'apprend que ce dernier s'est fait plaisir depuis ma dernière visite. L'humain, sagement assis sur son fauteuil de bureau, sursaute au bruit provoqué par mon entrée cavalière.

- Commandant Shoross ! Bafouille-t-il en tentant de reprendre contenance.

Il est nerveux, je le sens et le vois à cause des gouttes de sueurs perlant le long de ses tempes et des veines saillantes qui trahissent l'angoisse qui pulse à travers son corps. Je l'observe qui essaie de se donner une contenance en tripotant des dossiers devant lui. Depuis que nous faisons affaire, cet humain n'a jamais pu être à l'aise en notre présence, encore moins quand je suis dans les parages. La peur irradie de tous les pores de sa peau et fait régner dans la pièce une odeur métallique incommodante pour mon odorat sensible.

- Président, je réponds en m'avançant lentement vers lui.

L'homme tremble légèrement, mais tente de dissimuler sa peur par une expression ferme. Il serre ses mains moites en poings, tandis que perçois les flageolements de ses jambes, dissimulées sous son bureau.

Puis-je vous aider ? me questionne-t-il d'un ton un peu plus assuré.

- Je viens m'entretenir avec vous à propos des deux femelles arrivées dernièrement. Je veux qu'elle puisse bénéficier de tout ce que peut leur apporter ce lieu sans obligation de participer au programme.

Le président se recule sur son fauteuil et me regarde d'un air étonné.

- J'avoue ne pas trop vous comprendre commandant, vous parcourez la galaxie à la recherche de femelles pour porter vos petits, et vous me demandez d'écarter du programme deux candidates venues volontairement ?

- Vous m'avez parfaitement compris.

L'humain m'observe avec méfiance. Je peux comprendre sa réticence à accueillir deux bouches de plus à nourrir sans contrepartie. Après tout, ces êtres primitifs laissaient une partie des leurs périr au-delà des murs du quartier général. Mais nous nous étions montrés plus que généreux dans cette collaboration et il ne faisait aucun doute que la présence de Mia et son amie ne mettraient pas en péril l'équilibre de leur base.

- Commandant Shoross, je ne sais pas quel genre de liens vous entretenez avec ces femmes, mais nous ne pouvons pas faire d'exceptions aux règles établies. L'organisation dans le QG a été mise en place pour garantir l'égalité et l'équité entre tous les habitants. Les faire rester sans contrepartie serait injuste pour les autres qui doivent travailler dur.

- Je ne me justifierai pas, et n'ai aucun doute en vos capacités pour inventer un prétexte pour les autoriser à rester. Nous nous sommes montrés plus que généreux envers vous pour mener à bien cette collaboration et il serait regrettable pour vous et votre peuple que nous ne tombions pas d'accord.

Cet échange bien que court, avait bien assez duré et je sais le président bien trop peureux pour insister davantage. Il ouvre la bouche pour répondre, mais je ne lui laisse pas l'occasion de s'exprimer. Sans un regard en arrière, je me dirige vers la porte, mon pas déterminé résonnant dans le couloir. Tandis que je passe les portes en bois massifs du bureau et commence à retraverser le couloir, j'entends dans mon dos la voix hésitante du président.

- Commandant Shoross, nous serons à la hauteur de vos attentes.

Je continue ma marche, ne daignant pas me retourner pour confirmer sa réponse. Il me reste encore une chose à régler, retourner au vaisseau, et faire comprendre à Xortès de ne plus poser ses mains sur Mia.


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