Je me nettoyais les mains au gel hydroalcoolique et enfilais des gants en latex avant de rentrer dans la chambre 710, tirant derrière moi le chariot où se trouvait toute la panoplie nécessaire à la toilette d'un patient. Cet acte, qui au premier abord semblait intrusif et embarrassant, que ce soit pour le malade ou l'infirmier en charge, était pourtant, lorsqu'on avait une confiance mutuelle, une obligation sanitaire qui se faisait sans problèmes. Toutefois, ce n'était pas tout à fait la même chose lorsque cette personne-là était un chanteur en vue dans le coma.
Jimmy Scott se tenait adossé contre la fenêtre de la chambre qui donnait vue sur Big Ben et l'abbaye de Westminster. Si on oubliait qu'on se trouvait dans une chambre d'hôpital, le panorama offert par la vitre aurait été l'un des plus beaux points de vue de Londres. Pourtant, Jimmy était bien trop absorbé par son téléphone pour contempler la Tamise ou m'adresser un simple regard.
- Bonjour M. Scott, on m'a chargé de m'occuper de la toilette de votre frère. Je suppose que vous avez connaissance du fait que vous pouvez effectuer cet acte si vous le souhaitez. Est-ce le cas aujourd'hui? demandais-je.
- On vous paye pour ça, je ne voudrais pas vous gâcher ce plaisir, grommela-t-il sans plus de politesse qu'un regard froid, qui pourtant me brûla les entrailles.
- Le contraire m'aurait étonné, murmurais-je pour moi-même avant de reprendre. Je vais devoir vous demander de quitter la pièce alors.
Je m'étais fait face dans le miroir ce matin, m'obligeant à garder une attitude professionnelle avec les frères Scott, car au moindre faux pas, je risquais de perdre ma licence. Mais il me rendait la tâche de ne pas les haïr très compliquée. Et lorsque la silhouette de Jimmy Scott me frôla avec un regard méprisant collé au visage, j'eus envie de jeter mes bonnes résolutions à la fenêtre et de lui crier que par-dessus tout, malgré mes possibles défauts, je restais un être humain qui méritait le respect. Mais la vérité vint frapper en plein fouet en même temps que la porte de la chambre se claquait : j'avais perdu ce droit en même temps que ma dignité ce soir-là. Je devrais être habituée maintenant à être constamment déçue par la gent masculine, ou peut-être même les êtres humains en général. Pourtant, une part de moi semblait vouloir s'accrocher à l'idée qu'un jour peut-être je serai aimée. S'en était que plus douloureux lorsque je me faisais rabaisser. Au moins, si j'acceptais de n'être qu'un point sur l'échiquier de la vie, je me serais forgé une carapace pour me protéger.
Je mis de côté tous ces ressentiments, qui un jour, me tueront sûrement, mais pour le moment, ils ne m'empêchaient pas encore de vivre, seulement d'être heureuse.
Une fois que je me fus assurée que la porte était bien fermée, je déboutonnai la chemise d'hôpital fournie à Aylan Scott, avant de délicatement l'en dévêtir du côté droit. C'était l'une des règles primordiales de l'hôpital : de toujours tenter de garantir un minimum d'intimité et de respect. Ce que personne ne semblait bien vouloir m'accorder.
Puis, à l'aide d'un gant de toilette savonneux, je commençai à laver ses clavicules, descendant progressivement vers son thorax. Et même s'il était encore à moitié protégé par le bout de tissu, mon cerveau se répétait : "Putain qu'est-ce qu'il est bien foutu". Je regrettais immédiatement mes pensées qui n'étaient d'une part absolument pas professionnelles et surtout contraires aux sentiments que je nourrissais à son égard. Mais il différait tellement des hommes de soixante-dix ans dont j'avais pris l'habitude de m'occuper, que mon esprit avait échappé à mon contrôle une seconde. Son corps était tendu, et ses muscles contractés, malgré son inactivité prolongée, mettant en valeur son corps qui ne pouvait qu'être athlétique.
Je passai au côté gauche de son abdomen avant de m'occuper de ses jambes en suivant le protocole qu'on m'avait appris il y a quelques années maintenant.
Avant de finalement m'atteler à sa barbe de trois jours rugueuse, qui était maintenant rasée à la perfection, dévoilant la mâchoire carrée du chanteur aux cheveux noirs ébène.
Une fois revêtu d'un pyjama propre, je notai ses constantes et pris sa température, mais lorsque le thermomètre afficha 36,8°C, j'eus un mouvement de recul doutant du résultat. Un patient dans le coma n'avait jamais une température corporelle supérieure à 34°C, à moins qu'il soit en train de se réveiller.
**Point de vue d'Aylan** :
J'avais l'impression de lutter contre moi-même pour ne pas sombrer. Prisonnier de mon propre corps, incapable de bouger. Enfermé. Mon esprit livrait bataille, alors que je restais inerte. Se réveiller voudrait dire souffrir, mais garder les yeux fermés libérait les démons passés. Alors on suffoquait intérieurement. On prenait conscience de chacune des pulsations dans nos veines, alors qu'on se situait entre la vie et la mort, on ressentait tout plus intensément. Les yeux clos, on prenait conscience de tout ce qui nous entourait, comme un nouveau-né qui pousse son premier cri. Il naissait, on renaissait, littéralement, on respirait.
On redécouvrait notre corps, nos muscles se relâchaient, notre main se soulevait.
Aveugle, on étendait les mouvements autour de nous, et puis progressivement nous parvenait le bruit de machines qui s'affolaient. On imaginait des personnes accourir, elles parlaient fort mais on ne percevait que leur timbre de voix. Et à ce moment-là, lorsque l'espoir les saisissait, on se réveillait. Je me réveillai.
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Hey!
Comment ca va today?
Bon chapitre un peu en retard et plutôt court je l'avoue. J'ai d'ailleurs beaucoup de mal à savoir ce que j'en pense, j'attends donc vos retours pour voir comment je pourrai l'améliorer.
Love you guys
See you next week
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Laisse moi vivre
Lãng mạnLondres la ville où le brouillard cache les secrets. Sarah Reyes vit dans la peur quotidienne d'être confronté à un homme. Pourtant, sa situation financière ne lui laisse d'autre choix que de travailler en tant qu'infirmière le jour, et dans un pub...