MARLY
Je n'ai pas été très honnête. J'ai critiqué Mordicus pour nous avoir dissimulé des informations, mais c'était une réaction hypocrite. Je ne leur ai pas tout dit non plus. Et pour être parfaitement sincère avec moi-même, je n'ai pas la moindre idée de la raison qui me pousse à cacher des éléments importants, alors même que Joan et Mordicus essaient de m'aider.
Coucou, c'est moi.
Les prochains jours seront énigmatiques. C'est normal et nécessaire.
Souvent, lorsque certaines choses deviennent confuses, l'essentiel devient très clair.
Tu découvriras des choses abominables et tu devras les taire à tout le monde. Mais tout ira bien parce que je serais là pour toi, d'accord ? Qu'importe ce qui se passe, tu auras toujours une personne de confiance à tes côtés.
Je t'écris tout cela avant de partir. Je ne sais pas si on va se revoir alors je préfère te prévenir.
Cet endroit n'est pas ce que tu crois. C'est un passage.La lettre n'est pas une simple lettre. Il s'agit d'une carte postale. Si le verso comporte des phrases écrites à la main, le recto représente une image. Plus exactement, c'est une photo.
Je suppose qu'elle désigne un indice supplémentaire, mais surtout, je l'ai déjà vu quelque part.
Alors à la nuit tombée, je me glisse hors de mon lit. Doucement, j'enfile mes chaussons, puis récupère la lampe de poche dans le tiroir de ma table de chevet. À pas lents, je sors de la chambre, sillonne les couloirs puis descend les escaliers jusqu'au hall. Par les grandes et hautes fenêtres, je remarque quelques doux flocons qui dégringolent du ciel nocturne. C'est une chute de neige paisible, comme si le ciel murmurait une petite berceuse sur notre coin du monde. Les lumières tamisées qui éclairent le vestibule donnent une impression de rêve éveillé.
Je repense à la boite aux lettres noyée sous la neige, dehors, dans le froid et la nuit, plantée au bout de l'allée. Je repense au lac et à la sensation désagréable, depuis, que de la glace liquide a remplacé le sang dans mes veines. À croire que mon corps ne pourra plus jamais complètement se réchauffer.
Je secoue la tête pour me reconcentrer.
Toujours avec prudence, je m'avance vers le bureau de la Directrice. Je saisis la lourde clé que je cache dans la poche de mon pyjama et déverrouille la porte. Après des années à vivre sous ce toit, il n'y a pas un seul enfant qui ne possède pas le double de cette pièce. Voler l'original pour en faire une copie représente un peu notre baptême du feu.
La porte grince, puis cède. Je balaye l'endroit avec le faisceau de ma lampe. Tout est disposé de manière ordonnée et il me semble bien qu'aucun objet n'ait jamais changé de place, en seize ans.
Comme je sais ce que je cherche, je m'avance vers le mur sur ma gauche. La moitié de la paroi est composée d'étagères, chargées de livres, et l'autre est décorée d'encadrements renfermant des photos d'époque. Je pense sincèrement que Madame Hermary s'est trompée de vocation ; je me demande pourquoi elle n'est jamais devenue historienne.
La lumière de ma lampe éclaire la représentation d'une maison victorienne, puis celle d'un lac verdoyant avant de s'arrêter sur un cliché en noir et blanc. On y distingue un train d'autrefois. Une vieille locomotive qui entre en gare, entourée de quais vides. La moitié de la photo est envahie par la fumée qui s'échappe de la cheminée de l'appareil. Je frôle du bout des doigts la vitre qui protège le cliché. Un mal de crâne me martèle les tempes, alors que des flashs s'impriment dans mes rétines. Je connais cet endroit. Je ne saurais pas dire où il se trouve, ni quand cela s'est produit, mais j'ai la certitude d'y avoir déjà mis les pieds en personne.
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Les corbeaux blancs
Fantasy"Cet endroit n'est pas ce qu'on imagine, mais par conséquent, nous non plus." Alors que pour la première fois depuis de nombreuses années, une lettre atterrit dans la boîte aux lettres de l'Orphelinat, Marly et Joan vont devoir mener l'enquête sur l...