29. Lecture

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Antonin

Installé dans le fauteuil, je sers les cahiers fermement. Je sais pertinemment que la lecture qui va suivre ne sera pas agréable.

Je me doute que la culpabilité que je ressens actuellement ne sera rien comparée à celle que je ressentirais à la fin de ma lecture.

Pourtant, si elle est réellement innocente, je lui dois bien ça. Je dois savoir à quel point je suis coupable.

Alors, je reprends la lecture. Comme attendu, cela n'a rien d'agréable. Je décide de lire en diagonale pour comprendre le plus rapidement possible la situation.

Je passe rapidement les trois jours qu'elle a passés seule. Qui semble avoir été les plus beaux qu'elle ait vécus depuis longtemps. Je suis surpris de la voir décrire sa découverte du manoir. Je suis touché de la voir complimenter les rénovations qu'avait dirigé ma mère.

Je peux presque la voir s'organiser en lisant ses lignes. Elle y explique clairement comment et pourquoi elle a fait le ménage comme elle l'a fait.

Je souris tristement quand elle parle de la liste dans laquelle elle note ce que n'osera jamais rien me demander.

Je me sens coupable de n'avoir jamais vérifié ce qu'elle avait fait lors de ces trois jours. J'ai juste demandé à Sylvie si elle avait fait quelque chose. Et cette dernière m'a assuré que la nouvelle arrivante avait bien fait du ménage, mais que c'était n'importe quoi et qu'elle avait dû repasser derrière.

À l'époque, ça m'a suffi. Cela m'a paru cohérent avec l'image que je me faisais d'elle. Si au moins, elle avait essayé, je ne pouvais pas lui reprocher, c'est ce que je me suis dit.

Si j'avais regardé les vidéos à ce moment, aurais-je changé mon regard sur elle ? Rien n'est moins sûr. En lisant ses lignes, je prends conscience que je ne l'ai jamais jugé pour ce qu'elle était, mais pour ce que je savais d'elle et sa famille.

Une partie de moi veut toujours que je vérifie les écrits sur les vidéos. Même si je ne pense plus que ce soit les écrits d'une manipulatrice qui veut se faire passer pour innocente, je reste quelqu'un de méfiant.

Pourtant, ce qu'elle écrit me semble difficile à fausser. Cela voudrait dire qu'elle s'est mise dans son rôle dès son arrivée. Qu'elle aurait écrit ce carnet dans le but que je le lise. C'est toujours une possibilité, mais cela serait preuve d'une grande intelligence et la façon dont les documents ont été volés ne colle pas.

Non, je commence à comprendre que ce n'est pas réellement une Rochambeau. Je comprends rapidement ce qu'il en est.

Elle ne les nomme jamais réellement, elle évite de parler d'eux. Tout comme elle fait régulièrement référence à des mauvais traitements, mais toujours de manière détournée. Comme si l'écrire les rendrait de nouveau réels.

Je déduis rapidement que Rochambeau est bien son père, mais qu'elle n'est pas la fille de sa femme. Elle est née d'une relation extraconjugale et elle en a payé le prix.

Quand ils avaient compris qu'ils pouvaient proposer une alliance par le mariage à mon père, ils l'ont choisi comme la future mariée.

Ma famille fait partie de la haute aristocratie. Dans ce milieu, peu savent qu'en réalité nos titres et notre argent sont depuis des siècles et des siècles le fruit d'un empire criminel.

Aux yeux de tout le monde, nous sommes une famille plus que convenable avec une grande réputation.

Mais dans le monde criminel, notre nom est dit avec crainte. De nombreuses rumeurs courent sur nous, pour la plupart fausses et infondées.

Pour autant, je peux comprendre que l'on hésite à vendre une fille aimée à une famille connue pour être cruelle et sanguinaire. Au lieu d'envoyer une fille chérie, ils ont choisi de m'envoyer une bâtarde qu'ils ont pris soin de "dresser" avant.

Et elle n'osera jamais me le dire. Elle semble persuadée que si je découvre leur arnaque, je lui ferai payer également. Je ne doute pas que ce soient eux qui lui ont mis cela dans la tête.

En comprenant cela, ma rage revient plus forte que jamais. Une colère qui n'est plus dirigée vers la pauvre femme. Mais vers moi et ceux qui ont choisi de s'en prendre à une innocente pour gagner en prestige.

Une nouvelle haine s'éveille en moi et une envie de rendre justice à cette femme qui parvenait toujours à voir le positif malgré l'horreur de sa situation.

Et plus je prolonge ma lecture, plus cette rage grandie et ce nourri. Je me rends compte que je ne sais pas réellement ce qui se passe sous mon toit.

E carnet retrace seulement les deux premières semaines qu'elle a passé dans cette maison. Et pourtant, je peux déjà voir à quel point j'ai été aveugle.

Je me rends compte que je ne suis qu'un putain de connard. Je connais parfaitement Sylvie. Je connais ses vices. C'est même pour cela que j'ai renvoyé tous les autres employés.

Et pourtant, je lui ai confié ma femme. Même si à ce moment, je voulais lui en faire baver, j'ai été bien naïf de croire que cette tarée de gouvernante suivrait mes ordres.

À travers ses mots, la jeune femme raconte tous le sévisses que lui a infligé Sylvie. Les insultes, les mauvais traitements, les tâches impossibles à réaliser.

Je m'étais aperçu par moi-même, que c'était elle qui faisait les repas, mais je me rends compte encore une fois que j'ignorais tous. Sylvie a passé son temps à me mentir. À me dire que ma femme ne faisait rien d'autre que de s'occuper de ses plantes. Qu'elle était un poids plus qu'autre chose.

Si je n'ai jamais aimé ma gouvernante, je commence à ressentir une haine violente à son égard.

Ce qui finit de me convaincre qu'elle ne mérite pas mon pardon, c'est que sa victime, la jeune femme que j'ai tout fait pour diaboliser, elle lui avait donné ce pardon. Et pour des raisons idiotes et naïve.

Elle raconte dans ses écrits que le comportement de la gouvernante n'est rien par rapport à ce qu'elle a déjà vécu. Elle comprend que c'est injuste, mais elle arrive tout de même à le justifier par la loyauté de la gouvernante à mon égard.

Mais aucune loyauté ne devrait justifier la torture d'une innocente ! Merde ! À travers ses mots, je comprends que je suis responsable des actes de ma gouvernante. Si je ne lui avais pas donné autant de pouvoir, elle n'aurait pas pu lui faire subir tout ça.

Si je n'avais pas été un sale lâche aveuglé par la haine, je n'aurais pas permis qu'elle pense qu'elle mérite tous ces traitements.

Quand je referme le premier cahier, ma décision est déjà prise. Ce que j'y ai lu ne prouve en rien son innocence pour l'instant. Elle aurait au contraire toutes les raisons de se venger.

Pourtant, je sais maintenant qu'elle n'a rien à faire dans mes cachots. Il est temps d'enfin faire ce qu'il faut.

Je vais la sortir de là et tout faire pour effacer les durs moments qu'elle a vécus à cause de moi.

Deuxième captivitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant