34. Discussion entre amis

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Antonin

Assis, les carnets sur mes genoux, je n'ose plus les ouvrir. Cela doit faire bien une heure que Martial me les a déposés avant de rejoindre sa femme chez lui.

Une heure que je contemple le corps meurtri de cette femme innocente. Corps meurtri par ma faute. Une heure que je laisse colère et culpabilité me ronger sans oser reprendre ma lecture de peur que ce que j'y découvre ne me fasse souffrir davantage.

Parfois, j'aimerais être sans cœur comme mon frère et mon père. La vie serait plus simple, moins douloureuse. Eux ne ressentiraient aucune culpabilité, car comme me l'a si bien dit Martial, ils auraient fait ce qu'il fallait avec les données du moment.

Moi aussi, je peux me montrer sans cœur. J'ai accompli des demandes qui ont sans nul doute détruit des vies. Sans remords, sans regret. Et pourtant, souvent, je n'étais même pas sûr de leur culpabilité. À vrai dire, la plupart du temps, je m'en fous.

Les commandes visent rarement des gens en dehors du milieu. Et même quand c'est le cas, ils ont habituellement des choses à se reprocher.

Cependant, des hommes de ma famille, je suis toujours celui que l'on considère comme trop sentimental. Et a raison.

La sonnerie de mon téléphone sonne. Je l'entends à peine. Je n'ai pas envie de parler. J'ai besoin qu'on me laisse seul.

Elle ne cesse de sonner. Qui peut être putain d'aussi chiant !

Au bout du troisième appel, je décroche, criant presque :

- J'ai besoin qu'on me laisse seul !

Et avant que je ne raccroche, une voix sarcastique rétorque :

- Mais tu m'as promis qu'on passerait la soirée ensemble. Et j'ai même l'impression que c'est encore plus nécessaire maintenant...

Guillaume. Bien sûr. Qui d'autre serait aussi obstiné ?

Cependant, l'entendre me calme un peu. Je prends quelques secondes avant de répondre :

- Je sais que je te l'ai promis, mais il s'est passé quelque chose.

- Il va falloir être plus précis si tu ne veux pas que je débarque chez toi.

Sa menace me déride légèrement.

- Non, Guillaume, pas ce soir. On peut parler au téléphone si tu veux par contre

Il ne répond pas tout de suite. Je me lève et vais vérifier si la planque d'alcool que mon père avait cachée dans l'infirmerie existe toujours.

Je souris quand je trouve une bouteille d'un excellent whisky. J'attrape le verre caché avec et retourne m'asseoir dans le fauteuil.

- Très bien, finit-il par répondre. Mais tu as intérêt à m'expliquer. J'en ai marre de voir mon meilleur pote se détruire sans pouvoir rien faire...

Il est sincère. Je le sens même blessé. Je bois une gorgée avant de lui retourner :

- Qui te dit que c'est quelque chose dont je peux parler ?

Avec Guillaume, jamais, je ne parle de mon boulot dans ma famille. C'est une promesse que je me suis faite dès le début de notre amitié.

Lui et moi, on s'est rencontré au lycée. Au plus grand désespoir de mon père, j'ai voulu aller dans un établissement public. Et comme ma mère était mourante et que je lui avais dit que j'accepterais de réfléchir au mariage arrangé qu'il pensait déjà à mettre en place, il n'a pas vraiment eu d'autres choix que d'accepter ma demande.

Guillaume est le premier de ma classe à avoir osé s'approcher de moi et il ne m'a pas lâché depuis. Même quand je lui ai dit qui était ma famille. Même quand je lui ai avoué que la fortune de ma famille était bâtie sur un empire criminel. Et même quand je lui ai avoué que je comptais rejoindre cet empire.

Deuxième captivitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant