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— J'ai pu les agrandir, c'est gentil de ma part non ?

— Tellement gentille que si tu continues, je te fous mon poing en pleine poire.

   Nathan pouffa en prenant sa menace au sérieux.

— C'est mon...

— Je. M'en. Moque.

— Aoki, raisonne-la. J'ai le droit de faire tout ce que je veux durant mon anniversaire, pas vrai ?

   Quoiqu'ils le connaissaient tous par cœur, Aoki dont les cheveux aussi noirs que ses yeux cascadaient sur le dos, s'empressa de faire un récital.

— D'après l'article neuf du code des insoumis, tout membre est libre d'agir comme bon lui semble en vertu des limites prédéfinies le jour de son anniversaire et est protégé de toutes baffes ou de poing en pleine poire.

   Tous les articles du code des insoumis ont été écrits par Aoki. Non pas parce qu'elle était méticuleuse pour poser les règles de leur groupe. Disons qu'elle vouait une admiration sans bornes à ses parents avocats et que cela ne la gênait pas de leur piquer deux ou trois livres.

   Elle avait les yeux légèrement étirés, les lèvres roses et une voix criarde. Elle se présentait comme une future avocate et une féministe dévouée même si elle ignorait ce que cela signifiait.

— Vivement qu'elle se termine.

   Un tonnerre assourdissant les fit sursauter et après s'être convaincu trop « adulte » pour en avoir peur, discutèrent de toutes les choses qui leur passait par la tête. De chat, de films de Steven Spielberg, du pire prof, de leur future boutade... Pour Nathan, l'important n'était pas de formuler des choses censées. Non, l'important était ce temps passé ensemble.

   Il entendait souvent que le bonheur n'existait pas dans ce monde. Et pourtant, sa vie était l'exemple parfait qu'il était bien réel. Il avait la plus formidable des mères, un père musclé et travailleur (même le jour de son anniversaire). La petite sœur la plus mignonne de la terre, un petit frère qui le faisait voir de toutes les couleurs, mais dont il appréciait parfois la compagnie. Des amis en or. Que demander de plus ?

   Une heure plus tard, la pluie s'arrêta et quoique le gris dérangeait toujours, les invités virent là un signe pour décamper. Nathan accompagna ses amis jusqu'à la rue où une demi-douzaine de voitures, embellies par l'eau de pluie, attendait leur passagers. Il leur salua à tour de rôle, leur fit une dernière vanne, avant de promettre de se retrouver au plus vite.

   Des flots coulaient dans les caniveaux et quoiqu'il aurait apprécié pouvoir affuter sa technique de dessin des cours d'eau, il rentra à la maison, non sans scruter les deux bouts de la ruelle dans l'espérance de voir le 4×4 de son père. Le silence de la maison le rendit nerveux. Pas triste, mais nerveux. Son père lui avait promis qu'il serait là.

   « Je suis presqu'un homme maintenant. Faut que j'arrête de me plaindre. », dit-il à lui-même en s'asseyant sur le canapé. C'était vrai, il venait d'avoir douze aujourd'hui et cela faisait de lui un homme à 70 %. Deux années plus tard, il aura des barbes comme Ragnar, un timbre de voix off et une démarche de super vilain.

   Ses yeux dérivèrent sur les photographies qui sauvegardaient toute les évolutions de la famille, le long du mur qui côtoyait l'escalier. À force de les dire bonjour chaque jour, il les connaissaient par cœur.

   Il y avait lui, bébé faisant ses premiers pas dans un vieil appartement dont il avait oublié l'atmosphère. Lui en train de combattre sa maman pour la faire comprendre que les raviolis nuisaient à la santé. Lui en train de faire du vélo avec son petit frère Brayden, et d'autres moments qui immortalisaient les autres membres de la famille. Ce qui se remarquait en premier était que la majorité des photos mettaient en lumière plus d'un personnage. Et pour lui, cela respectait la vraie essence d'une famille. Jamais seul!

   Brayden vint se larguer à ses côtés, la bouche bourrée et le ventre en extension.

— T'chu chais que ch'adore les ch'anniverchaire ! lança-t-il en déposant un cookie sur ses jambes.

Nathan regarda ses joues gonflées, sourit et croqua.

— Tu aimes tout ce qui te permet de te goinfrer Brayden.

— Chè faux. Che déteste la cantine.

— Ouais, ouais.

   Brayden lui donna un autre cookie et éveilla sa méfiance. Nathan savait que son petit frère n'était pas du genre partageur avec les sucreries. Ce n'était pas un goinfre comme il aimait si bien le chantonner, mais son agressivité augmentait d'un cran quand il s'agissait de barbapapa, de gâteaux à la vanille, de cookies et des M&M's. Les sucreries avaient toujours exacerbé ses côtés ténébreux.

   Avec sa coupe fraichement renouveler chez BigBoby, le tailleur de la famille, Brayden était la version réduite de son père. Front imposant, sourcils abondants, yeux d'un marron délicat, nez en pique, oreille extralarge, et menton carré. Cela suscitait un peu de jalousie chez Nathan, qui n'avait hérité que deux choses de son paternel : son caractère explosif et la peau noire. Il avait qu'un petit front, des sourcils en manque d'engrais, des yeux aussi noirs que les ténèbres, un nez en manque de repère, des oreilles ni trop grande ni trop petite. Le peu de membres de sa famille ne manquait pas de le faire remarquer qu'il prenait ses traits de personne, pas même de sa mère. Était-ce la cause de codes génétiques préhistorique ? Cela le contrariait. Il ne la jouait pas à la Timothy Templeton (Baby boss). Imposer une limite même sur le quantité d'amour en circulation dans une famille, mais il avouait qu'il ressentait une certaine distance de son père ces derniers temps. Comme maintenant. « Pas la peine de faire tout un drame, il grandissait, voilà tout.

— On ne t'acceptera jamais dans le club des insoumis, tu sais Brayden.

   Ce dernier tira une moue triste.

— Mais pourquoi ? Je suis tous aussi grand que vous. Et je suis même prêt à partager ma réserve de sucrerie.

— Quelle réserve de sucrerie ? gronda leur mère, en avançant vers eux, très intéressée.

   Nathan leva ses bras pour montrer son innocence, et laissa son petit frère se débrouiller.

— Réserve de sucrerie ? Mais quelle réserve de sucrerie ? Personne n'a parlé de réserve de sucrerie, pas vrai Nat ?

   Outre le fait qu'il posait, beaucoup trop de questions, le regard qu'il perdait ailleurs en levant la tête comme un paon, disait qu'il savait très bien de quelle réserve de sucrerie on parlait. Sa maitrise de l'art du mensonge n'était pas tout à fait au point.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant