Eloge et critique de la psychanalyse

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Si la psychothérapie analytique a eu une conséquence, c'est celle de me rendre à nouveau loquace (et, je l'avoue, moins déprimée et même plus joyeuse, car je me suis toujours épanouie, personnellement, dans cette pensée en action). Dans ma tête, par la parole, et surtout à l'écrit. En fait, ma tête est redevenue pleine d'idées, stimulée positivement (il ne s'agit pas de rumination déprimée), et j'ai donc besoin de coucher tout cela sur le papier, pour que cela me désoccupe l'esprit et ne m'empêche pas d'agir (et de me reposer). J'ai cessé de m'en empêcher par pseudo manque de temps. Donc, cela m'oblige à créer à nouveau ; et cet élan retrouvé est bien utile dans mon travail. Les associations d'idées ont le mérite de réveiller l'intelligence endormie sous le poids de la nécessité ou du devoir laborieux et (car) péremptoire de l'utiliser. Cela me rappelle pourquoi j'ai choisi cette voie.

En ce qu'elle a eu pour effet de m'encourager à agir, elle m'a été bénéfique.

La recherche commence nécessairement par l'improvisation. Plus exactement, la recherche commence nécessairement, tout court ; or tout commencement est improvisation. L'analyse a la conséquence collatérale mais essentielle de défiger en moi une pensée un peu sclérosée par les réflexes académiques.

Ce qui ne m'empêche pas d'être critique et de comprendre les zététiciens. Outre des dérives sectaires gravissimes, y compris à l'université, et le danger considérable que la psychanalyse peut alors représenter pour des patients déjà fragiles, je crois qu'il ne suffit pas de ne pas être orthodoxe (c'est-à-dire de ne pas faire des mythologies de la théorie analytique des fait scientifiques) pour être sauvé de tout problème ; encore faut-il reconnaître la valeur, souvent supérieure en terme de résultats, des autres thérapies psychologiques.

Prenons l'exemple de l'association libre : pour le meilleur, c'est Montaigne, qui pense "à sauts et à gambades", et fait ainsi éclore des idées nouvelles, fécondes, créatives. Cette créativité peut réjouir. Pour le pire, elle désoriente complètement, si l'analysant se met à croire (à cause de l'analyste ou non) qu'il y a un lien profondément logique entre certains de ses propos sous prétexte qu'ils se sont succédé dans son esprit, ainsi qu'un sens systématiquement caché derrière eux. Pour reprendre Margaux Mérand : l'heuristique, plutôt que l'interprétation ou l'explication.

Instaurer des limites entre les disciplines, ce n'est pas forcément manquer de nuance ou d'ouverture d'esprit, au contraire ; ne pas tout mélanger permet d'admettre le champ de compétence effectif de chaque discipline, ou ce qu'elle propose. La psychanalyse n'est pas une science, et m'est avis que chaque praticien doit savoir clairement s'il lui octroie ou non une prétention thérapeutique, et être transparent à ce sujet. Si oui, sa valeur se définit par son efficacité, qui elle se mesure par le mieux-être du patient ; si elle présuppose que, comme la vérité qui dérange est de meilleure compagnie que l'illusion qui réconforte, le mal-être n'est pas forcément axiologiquement mauvais, est intéressant en soi ou peut même constituer un progrès (comme Winnicott rappelait que les dépressifs étaient plus proches de la santé que les obsessionnels ou que ceux qui pensent n'être pas déprimés, par exemple), pourquoi pas ; mais alors elle doit se garder de toute prétention scientifique, et même thérapeutique, guérisseuse. Il s'agit plutôt d'une pratique philosophique individualisée, d'un mode de vie et de pensée. Rappelons-le : la philosophie n'est pas là pour aider à mieux vivre sa vie. Certes, elle nous stimule, elle accomplit notre humanité, elle peut apporter des joies plus grandes que ne le font les plaisirs confortables, et nous amener à modifier notre expérience vitale, pour le meilleur en nous rendant plus adéquats avec nous-mêmes, plus contemporains de nous-mêmes.

Il est vrai que cette adéquation peut avoir des vertus psychologiques ; mais nous sommes loin des troubles mentaux soignés par la psychologie clinique. Si la philosophie guérit alors, c'est par surcroît, comme Lacan le disait de la psychanalyse... Là est sa limite, me semble-t-il ; l'aide qu'elle peut représenter n'est pas pertinente pour toutes les individualités. "Et se regarder en face", selon qui l'on est, ce peut être radicalement destructeur - pas tant à cause de ce que l'on verrait que de notre capacité à le supporter.

Toute pratique qui encourage l'action me semble bénéfique ; toute pratique qui la stérilise en enfermant dans un narcissisme anxieux et ruminant me paraît à l'inverse en elle-même pathogène.


Eloge et critique de la psychanalyseWhere stories live. Discover now