Dans l'ombre des étoiles

Chapitre 34

   En franchissant le seuil du salon, j'ai du mal à y croire. Suis-je encore en train de rêver ? Ou alors j'ai ingurgité plus d'alcool que je ne le croyais hier soir. Non, j'ai beau cligner des yeux, il est toujours là, une cuillère à la main en train de manger son bol de céréales Crunch sur la table à manger.

– Papa, tu travailles pas aujourd'hui ?

   Le son de ma voix le fait sursauter, je ne vois que maintenant qu'il était absorbé dans son téléphone posé contre la boîte.

– C'est férié, ma chérie, répond-il, un sourire fatigué maladroitement dessiné au coin de ses lèvres.

– Je sais, mais je pensais que tu y serais quand même.

– J'ai pensé passer la journée avec vous.

   Alors ça...

– Maman est là aussi ?

– Oui, elle dort encore, me murmure-t-il.

   Il me mime de ne pas parler trop fort. Le voir là semble complètement surréaliste. Depuis le départ de ma sœur, on ne se voit qu'en coup de vent. Il me manquait terriblement mais je l'avais accepté, parce que c'était nécessaire.

   Je lui ai pourtant proposé de me trouver un petit boulot, en vain. Il m'a presque crié dessus et assuré qu'il ne prendrait pas le moindre centime de ma poche. « Profite de ta dernière année, ma chérie. »

   Ma chérie. Ça aussi, ça m'avait manqué. Il est le seul de cette famille qui se montre aussi affectueux avec moi. On était vraiment très proches bien qu'il ait toujours beaucoup travaillé. Il n'a jamais vraiment fait de différences entre ma sœur et moi. J'étais juste plus liée à lui, en quelque sorte. Et Didi à notre mère. Ça nous allait parfaitement.

   J'aime nos deux parents, vraiment. Mais quelque chose au fond de moi, après sa réponse, se heurte à un mur. Ça peut sembler égoïste mais j'aurais aimé passer la journée seule avec lui. Ma mère est énormément sur mon dos ces derniers temps, ça ne me réjouit pas de jouer les prolongations.

   Elle va certainement lui faire un rapport complet sur mon état de santé, mental, tout ce qu'elle a pu relever. Ça et parler presque exclusivement de ma sœur par la suite comme si je n'existais pas. Je comprends, il y a le concours dans presque deux semaines et c'est vraiment extraordinaire, mais avec toutes les choses qui se passent dans ma vie actuellement, j'aurais aimé avoir leur soutien, ne serait-ce que cinq petites minutes.

   Et puis... j'avais promis à Thomas qu'on se verrait aujourd'hui, juste lui et moi. Cependant, mon père a l'air de vraiment tenir à cette journée... je ne peux pas lui faire ça.

   Je m'avance vers la table et m'asseois en face de lui. Autant profiter des quelques minutes qu'il nous reste seuls ensemble, ça sera déjà ça. Il éteint son téléphone et me sert une portion de céréales. Je n'ai pas faim mais tant pis.

– Alors, cette soirée ? m'interroge-t-il.

– Super ! Mais un peu crevante en vrai.

– Ça me rappelle des souvenirs tout ça, rit-il. Tu étais avec le groupe ?

   Une céréale passe de travers, je lutte pour ne pas recracher le lait. Je fais quoi maintenant ? Je lui dis quoi ? Il a l'air vraiment intéressé. Surtout, il sait quand je mens. La meilleure solution est de dire une partie de la vérité afin d'omettre plus facilement le reste.

– Mon amie Cassandre, et Dylan aussi, je souffle, attentive à sa réaction.

   C'est tout nouveau pour moi. Bien que je me confiais énormément à lui dans le passé. Jamais je n'ai eu l'occasion de lui parler de ce genre de choses. Ça a toujours été tout ce qui entoure ma sœur et rien de plus.