Liam restait pensif. Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas donné de nouvelles à Louie car, entre les journées qu'il passait avec ses élèves et les soirées occupées à arpenter Rome, il n'avait pas trouvé un moment. Mais plus les jours passaient, plus il était inquiet du silence de la jeune femme. Et si ce n'était que par politesse qu'elle lui avait promis un autre rendez-vous ? Son partnEar lui-même paraissait inquiet, diagnostiquant ce silence comme un signe courant de manque d'intérêt, et les probabilités qu'elle le rappelât chutaient d'heure en heure. Il se rongeait les sangs et les doigts, consultant constamment les chiffres et leur évolution, retraçant en permanence le fil de cette soirée, tantôt énumérant toutes les erreurs, les maladresses qu'il avait commises et se les reprochant amèrement, tantôt concluant que, finalement, la soirée s'était déroulée dans la bonne humeur et Louie en avait l'air très satisfaite. Il songea à ce moment où ils avaient fait la connaissance de ce couple, Paul et Laura, qui les avait abordé avec beaucoup d'humour et de décontraction. Au début, les deux jeunes gens avaient paru à Liam très aimables et ouverts, et le jeune homme s'était laissé entraîné par la discussion vive et conviviale; mais très vite, celle-ci avait pris une tournure qui lui avait fortement déplu : elle était devenue politique, et le couple affichait une idéologie clairement opposée à la sienne. Il s'agissait probablement de militants ICV – car le métaverse pullulait de militants, humains ou IA, qui abordaient les gens avec beaucoup de sympathie pour mener leur propagande. Lorsqu'il s'était promené seul à Rome, Liam s'était fait très peu aborder : les militants ciblaient les gens en fonction de leur profil, établi à partir des multiples données récoltées sur eux ; il était probable que Liam était identifié comme idéologiquement trop distant pour que l'aborder de front apparût pertinent. On se contentait donc de l'exploser à une multitude de publicités excitant ses différents sens. Il lui était arrivé deux fois de se faire aborder par des militants venus de l'est, qui avaient essayé de le convaincre du bien-fondé de leur idéologie. Mais il n'était bien entendu pas dupe. Il était parfaitement au courant de l'état des libertés là-bas, ainsi que des niveaux dramatiques qu'atteignaient les inégalités.
Quoi qu'il en fût, ce soir-là, une bonne demi-heure avait été gâchée par l'intrusion de Paul et Laura. Liam s'était renfrogné et n'avait plus dit un mot, tandis que Louie semblait intéressée et approuver leur discours. Et si, malgré tous les efforts qu'il avait déployés au cours de cette soirée, ce court instant avait suffi pour qu'elle le trouvât ennuyeux et fermé ? Ce qui était étrange en revanche, c'était qu'il ne se sentait pas du tout dérangé par l'intérêt que Louie avait manifesté envers ces discours. Il s'en étonnait lui-même. Mais après tout, c'était peut-être simplement une marque de tolérance de sa part. Il n'était pas du genre à réduire les gens à leurs idées politiques, et il était clair que Louie était bien davantage que cela. D'ailleurs, elle n'avait pas parlé politique de tout le reste de la soirée. C'était une femme décidément très intéressante, qui lui avait ouvert les yeux sur des réalités dont il n'avait pas conscience. Par exemple, elle lui avait expliqué combien il était rassurant, pour une femme, de se promener dans le métaverse – en tout cas dans les environnements où les partnEars étaient obligatoires. Car s'il arrivait à un homme de dépasser les bornes, il se faisait automatiquement figer par son partnEar. La situation était alors directement envoyée pour analyse aux propriétaires du métaverse, pour leur permettre de décider si une sanction devait être appliquée. Il pouvait s'agir, selon la gravité de l'acte, d'une amende, d'une exclusion temporaire, voire d'une exclusion définitive. Dans le monde réel, et malgré les patrouilles et les drones, des agressions survenaient encore, en particulier dans les quartiers les plus populaires, la nuit. « Déjà que dans nos quartiers, on ne sort plus le soir à cause des moustiques ! En centre-ville, les gens ne savent pas, tout ça. Tous les moustiques sont exterminés, et ils ont des lumières. Les gens peuvent se balader, s'ils le veulent, à toute heure du jour ou de la nuit. Chez nous c'est impossible. Tu sors, et si tu as de la chance, tu rentres chez toi avec des dizaines de piqûres. Et si tu n'as pas de chance, eh bien c'est simple : tu ne rentres pas du tout. » En effet, Louie avait appris à Liam que, dans un grand nombre de ces zones, les lumières, censées s'allumer automatiquement à l'approche d'un passant, ne fonctionnaient plus. On parcourait alors les trottoirs d'un pas empressé et anxieux, angoissé à l'idée de ce qui pouvait surgir de l'ombre. Les gens, pour la plupart, n'osaient plus sortir de chez eux : le jour il faisait trop chaud, la nuit il faisait trop noir. Pas plus tard que la semaine dernière, un couple avait disparu à Muret. Louie frémissait rien que d'en parler. Il était difficile de savoir ce qui leur était arrivé, car ils étaient sortis sans leur partnEar, et les caméras de surveillance ne gardaient pas les images plus de quarante-huit heures. L'alerte avait été donnée trop tard, et leur trace perdue à jamais. Et ce n'était pas la première fois que cela arrivait. En l'espace de trois ans, sept familles avaient déjà disparu, du jour au lendemain, sans laisser de traces. C'était terrifiant.
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La Révolte des Vivants
Science FictionA Toulouse, comme partout dans le monde, les journées sont brûlantes. Tandis que certains partent festoyer dans l'espace, les plus pauvres errent, en attente d'un travail, dans les rues asphyxiantes de la ville. Le plus facile, pour les gens de la c...