Chapitre 2

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Ces satanées images le hantaient. Il avait beau serrer les paupières, secouer la tête et crier, elles revenaient sans cesse, s'imposaient à lui, le consumaient.

Un soupir lui échappa. Chaque fois, il était plus brillant, plus rapide. Il bougeait vite, tranchait la main griffue de l'homme-porc avant qu'elle ne l'atteigne et, en un terrible rugissement, vidait ses boyaux à terre. Chaque fois, il était meilleur, plus fort. Et à peine avait-il triomphé que, comme une tempête qui ne cessait de tourbillonner, tout recommençait. Il s'avançait fouler à nouveau le sol chaud de l'arène, découvrait encore la grasse silhouette de son adversaire ... et se remettait en garde.

Ces images ... ces maudites images ! Se recroquevillant sur lui-même, il appuya son front moite sur ses mains tremblotantes. Ne trouverait-il jamais la paix ?

Le désert ... écrivit-il. Le désert d'Aknaleh m'a consumé tout entier.

Sa plume se rompit entre ses doigts crispés.

– Merde ! jura-t-il, avant de plisser les lèvres.

Il s'adossa au mur pour y reposer la tête. Sa plaie le lançait sans cesse, la douleur l'épuisait et, malgré le froid glacé de l'aube, il transpirait. Bien, songea-t-il, ce morceau brisé lui suffirait sans doute.

Je vais ici conter mon histoire, l'histoire d'un condamné. L'histoire d'une vie brève et, je le déplore, affreusement dépourvue de sens.

Il s'arrêta un instant, serra les paupières. Sa blessure gonflait de jour en jour. Elle était si enflée qu'il savait d'ores et déjà qu'il ne lui survivrait pas. La soif ferait de toute façon son office, si l'infection ne faisait le sien ... et sans doute s'en irait-il une nuit, au beau milieu d'un rêve, bien avant que les hommes de Dirmorah ne viennent le chercher. Au moins n'ornerait-il pas les murs d'Idayrön, la bouche entrouverte et le regard vitreux.

Tout a commencé loin d'ici, au cœur du désert de Nephet.

Où suis-je ... ? Quelques vautours tournoyaient au gré du vent. Ils poussaient de petits cris répétitifs et, du haut des cieux d'azur, lorgnaient son corps immobile.

Il plissa les yeux. La chaleur du jour était assommante ... et Laaov pouvait entendre battre son cœur dans ses tempes. Bon sang, qu'arrivait-il ?

C'était comme s'il peinait à se réveiller d'une étrange torpeur. Sa peau était rougie par les rayons du midi, son crâne lui paraissait à deux doigts d'éclater. Il n'avait la moindre idée du temps qu'il avait passé à gésir là, dans ce sable brûlant et sec ... ni de la façon dont il s'y était retrouvé.

Peut-être était-ce un mauvais rêve, envisagea-t-il en se redressant péniblement. Il posa une main sur son front, et se découvrit être aussi chaud qu'un bout de métal oublié en plein soleil. Non, ce n'était pas un cauchemar. C'était bien trop douloureux, bien trop tangible.

Son estomac se noua lorsque, portant le regard vers le lointain, il vit s'étendre un infini désert de dunes ... éblouissant et vide.

– Qu'est-ce que ... qu'est-ce c'est que ça, murmura-t-il.

D'est en ouest, du nord au sud, il était seul. Seul au beau milieu du néant. L'ombre d'un rapace aux ailes grandes ouvertes glissa, un bref instant, sur sa peau cramoisie ... et le jeune homme, tourné vers l'immensité ondoyante, demeura muet – immobile. Aussi loin que l'œil pouvait voir, il n'y avait rien d'autre que ce sable sans fin, rien d'autre que ces bourrasques hurlantes.

Tout était vide. Terriblement, redoutablement vide. Par les dieux ! Que se passait-il ? Comment était-il arrivé là ? S'il restait ainsi allongé, nu au cœur des dunes, sa vie serait brève. Extrêmement brève. Il devait se lever, songea-t-il en prenant appui sur les paumes de ses mains ... sans perdre un instant de plus.

Emeryde, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant