mimosa, et le ciel frissonnant semblait aussi nu que l’était Annabelle sous
sa mince robe de plage. J’épiais son visage, si étonnamment distinct dans
la nuit qu’il paraissait diffuser une faible phosphorescence naturelle. Ses
jambes, ses longues jambes agiles, n’étaient pas tout à fait jointes, et
quand mes doigts trouvèrent ce qu’ils cherchaient, je lus sur ses traits
enfantins une expression rêveuse, ensorcelée, de plaisir mêlé de
souffrance. Elle était assise un peu plus haut que moi, et chaque fois que
son extase solitaire l’attirait vers mes baisers, sa tête s’inclinait
doucement, en un mouvement alangui et comme accablé, et ses genoux
nus happaient mon poignet, le serraient un instant puis relâchaient leur
étreinte pendant que sa bouche palpitante, crispée par l’amertume de
quelque philtre secret, s’approchait de mon visage avec une aspiration
sifflante. Elle tentait alors d’apaiser la torture de l’amour en frottant
farouchement ses lèvres sèches sur les miennes, puis s’éloignait soudain,
rejetait ses cheveux en arrière d’un coup de tête convulsif, et revenait,
toute proche et obscure, me nourrissant à sa bouche ouverte, et dans le
même temps, avec une générosité qui lui faisait don de tout mon être, de
mon cœur et ma gorge et mes entrailles, je confiais à sa main maladroite
le sceptre de ma passion.
Je sens encore ce parfum douceâtre, musqué, un peu vulgaire, de la
poudre de toilette qu’elle avait volée, je crois, à la femme de chambre
espagnole de sa mère. Il se fondait avec l’odeur de biscuit de son corps, et
le trop plein de mes sens faillit déborder ; un bruit subit dans un buisson
voisin l’endigua par miracle, et comme nous nous détachions l’un de
l’autre, les veines battantes, à l’affût de ce qui n’était sans doute qu’un
chat en maraude, la voix de sa mère nous parvint de la maison, l’appelant
à cris de plus en plus aigus – et le docteur Cooper apparut dans le jardin,
claudiquant avec une pesante dignité. Mais ce bosquet de mimosa, cette
buée d’étoiles, ce frisson, ce feu, cette moiteur de miel et cette longue,
longue souffrance, tout cela resta en moi ; et la fillette aux jambes couleur
de plage et à la langue ardente me hanta sans trêve – jusqu’au jour, vingtquatre
ans plus tard, où je pus enfin briser son charme en la réincarnant
dans une autre.
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Lolita
Casuale( Livre de Vladimir Nabokov) Attention ce livre peut paraitre problematique !