La Disparition de Stephanie Mailer, Joël Dicker, 2018

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Dicker est l'équivalent en livre du travelling bâclé au cinéma : puisque la caméra va trop vite et sans précaution, que le réalisateur ambitionne de tout représenter en une seule prise, on n'a le temps de s'appesantir sur rien, on aperçoit des rais de lumière mal contrôlés sur une image brouillonne, et si l'on examine un instant ce qu'on voit, on distingue combien les acteurs sont faux, les décors artificiels, et jusqu'aux rails posés sur le sol. C'est un enchaînement accéléré de faits stéréotypés où, pour adhérer, il faut surtout ne rien affiner, ne rien interroger, ni personnage, ni péripétie, ni style ; c'est supposé fait pour l'efficacité, c'est-à-dire que le récit est entièrement rédigé par une variété d'enfant sans connaissance des réalités – Dicker n'est pas seulement un débutant qui a réussi par complaisance et par cooptation, c'est quelqu'un qui voit l'existence avec le simplisme confiant d'un inexpérimenté-de-la-vie, mais « à succès ». Je mets au défi quiconque de m'en citer deux pages de suite plausibles, intrigues, pensées et actions : il n'y a pour admirateurs de tels simulacres que des partisans de caricatures. Quant à l'art, il ne faut pas y compter : ce n'est pas qu'il manque parfois entre deux phrases de tentatives de beauté, mais on n'en rencontre pas une qui soit écrite avec l'intention d'un travail littéraire. Dicker, au prétexte d'être factuel, se déprend d'art et de considérations esthétiques, et ne se soucie que de raconter vite une histoire faite d'un esprit grossier, et courant vers son dénouement : en quoi ce qu'il écrit, quoique de papier et de mots, est loin de constituer un livre.

Mais il s'agit de me faire bien entendre. Mon lecteur a peut-être déjà constaté que je ne suis, pour mes propres ouvrages de fiction, pas totalement tatillon sur la vraisemblance : il peut m'arriver de manquer des détails par inadvertance ou, plus souvent, de supposer après très peu de vérifications que ces détails sont sensés, et ainsi en quelque sorte de les faire admettre, parce qu'ils sont rares et portent sur des vétilles, toujours secondaires à l'intrigue. On m'a remarqué que dans La Fortune des Norsmith, la vitesse de la barque, calculable sans que j'y prête garde, était un peu trop lente ou rapide, et plus justement encore que le passager à la poupe ne peut se situer simultanément dans le dos du rameur – cette inattention, si je l'ai bien écrite (et je le crois parce qu'elle me ressemble) est une bêtise que je regrette. Seulement, nulle de ces bévues n'était essentielle à la compréhension ou à la logique de l'intrigue ; or, c'est bien différent dans une histoire policière où il importe de ne pas produire des déductions ou des mobiles incohérents... mais cela se produit sans cesse chez Dicker !

J'ai cessé de lire à la page 113, après avoir mentalement dénombré les illogismes et les fadeurs, et admis une multiplicité d'impossibilités de toutes sortes ; j'ai terminé sur ces mots, énième stupidité puérile : « Les analyses balistiques étaient formelles : une seule arme avait été utilisée, un pistolet de marque Beretta. » ...où l'on découvre qu'un expert en armement peut, rien qu'à la balle, identifier la marque du pistolet. La suite du paragraphe, que je parcours en refermant le livre, est tout aussi stupide : « Il n'y avait qu'une seule personne impliquée dans les meurtres. Les experts considéraient qu'il s'agissait vraisemblablement d'un homme, non seulement pour la violence du crime, mais parce que la porte de la maison avait été défoncée d'un solide coup de pied. Celle-ci n'était d'ailleurs même pas fermée à clé. » On dirait les conclusions ridicules de Scotland Yard après Jack l'Éventreur en 1888, admettant que le tueur était gaucher parce que le couteau avait été appliqué à la droite du cou des victimes. Quels indices permettent d'affirmer si péremptoirement que le tueur était seul ? Aucun. Or, deux, en tous cas, offrent apparemment de quoi déduire que c'est un homme, les voici : il a tué quatre personnes par balles, et son coup de pied est capable de défoncer une porte ouverte ! Quant à savoir pourquoi il a cogné la porte au lieu de commencer par abaisser la poignée, c'était plus cinématographique ainsi, sans aucun doute...

À suivre : Un tramway nommé désir, Williams

Chroniques wariennes (mes critiques littéraires)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant