1・Vol de rayon

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Depuis un mois maintenant, je suis employé à Cora pour faire un job d'été. À vrai dire, au début, l'idée de travailler cet été ne m'enchantait pas du tout. Comme à chaque période de vacances scolaires, j'avais surtout envie de me laisser aller, et de profiter de longues heures de sommeil. Mais curieusement, je suis reconnaissant que mes parents m'aient poussé à le faire. Chaque jour, je découvre à quel point j'apprécie ce que je fais. Et pourtant chaque matin, c'est le même rituel : le réveil sonne impitoyablement à 3h15. Je me traîne hors du lit, encore engourdi par le sommeil, en me demandant où j'arrive à trouver cette motivation de me réveiller, et je démarre ma journée avec une petite brioche et un verre de lait. Je me brosse ensuite les dents avant de me rendre au travail, souvent en vitesse car je pars tout juste à l'heure, des fois même en retard.

À 4 heures précises, je rejoins mes collègues. C'est l'heure où commence notre journée de travail, là où se finit la soirée d'autres fêtards. Tout le monde attend comme chaque matin que le gardien arrive nous ouvrir la porte du magasin. Puis je monte dans la salle des casiers me préparer en vitesse avant de redescendre vérifier les rayons et voir s'il y a des produits en rupture. S'il y en a, je les scanne avec une petite scannette mise à disposition. En faisant ça, j'informe les chefs de rayons quels sont les ruptures pour qu'ils puissent faire de nouvelles commandes pour le jour suivant.

A la fin de cette tache, chaque employé se sépare pour s'occuper de plusieurs rayons spécifiques du magasin. Pour déterminer qui s'occupe de quoi, une télévision placée au cœur du magasin diffuse une carte indiquant tous les rayons, chacun coloré d'une teinte différente. Chaque couleur correspond à un employé dédié à ce rayon particulier. Personnellement, le premier rayon que je dois faire, c'est très souvent le rayon épicerie et assaisonnements. Je ne sais pas pourquoi on m'envoie toujours là-bas, mais je déteste ce rayon. Les produits ne sont pas très simples à ranger, il y en a beaucoup, et ils se ressemblent énormément. Par exemple rien que pour le ketchup, il existe une dizaine d'exemplaires différents, et c'est horrible à trouver.
Cependant, j'apprécie cette tâche simple et répétitive. Elle me permet de me plonger dans une sorte de méditation. Je suis seul dans le rayon, seul avec moi-même, et je pense à plein de choses différentes. Et puis il y a quelque chose de satisfaisant à mettre de l'ordre dans les produits du magasin. Lorsqu'on finit un rayon, tout est bien rangé, tout est propre, et ça donne envie d'acheter des produits.

Après avoir terminé ce rayon, j'ai encore deux autres rayons à faire. Ce sont d'ailleurs très souvent les mêmes. D'habitude, le rayon hygiène féminine et mouchoirs, ainsi que le rayon bio sont miens. Il m'arrive parfois de faire aussi le rayon parfumerie, et de temps en temps devoir aider mes collègues dans le rayon des yaourts. Mais je n'aime pas ces deux rayons. Le rayon parfumerie c'est plein de petits produits, et le rayon des yaourts en plus de faire froid, les packs sont très peu solides. Il suffit qu'un yaourt ne tombe de quelques centimètres pour que le tout casse.
Mais étonnamment cette fois je ne suis dans aucun de mes rayons habituels. J'ai été envoyé dans le rayon traiteur, là où les sandwichs triangle et les salades attendent d'être mangés. Ce fut étonnant car, à part au début de mon contrat où j'étais dans un peu tous les rayons pour me faire la main, je n'avais jamais vraiment changé de rayon. Je regarde donc qui est la personne qui m'avait volé mon rayon, et c'était la nouvelle. Elle s'appelait Océane et ça faisait déjà une semaine qu'elle travaillait avec nous.

- Alors comme ça tu me piques mon rayon ?
À peine arrivé en pause à 9h je la questionne, le sourire aux lèvres.
- Quel rayon ?
- Le rayon bio.
- Ah parce que c'est ton rayon ? Me répondit elle en riant.
La semaine dernière, à part le premier jour où elle est venue me demander un mot de passe, aucune vraie interaction ne s'était produite. Je comptais aujourd'hui me rapprocher un petit peu d'elle. Je voulais m'arranger pour l'intégrer au maximum à l'équipe. Je ne voulais pas qu'elle se sente exclue.
- Bien sûr que oui que c'est mon rayon !
- Et c'est noté où, ça ?
- À l'entrée du rayon ! T'as pas vu ? Il y a écrit "NOA" en gros sur une pancarte.
- De toute façon maintenant c'est MON rayon.
- Haha comment ça c'est ton rayon ?
- Bah tu verras demain, ce sera encore moi qui ferai le rayon ! Et ça sera ça jusqu'à la fin des vacances !
Le sourire taquin toujours accroché aux lèvres, je réplique :
- Jamais, je reprendrai ce rayon !

Notre échange se conclut sur un rire complice, brisant cette petite barrière qui semblait nous séparer depuis son arrivée. En fait, cette toute petite vraie première discussion nous a permis de briser la glace. Désormais, j'ai hâte de travailler au côté d'Océane. Et d'ailleurs, sans m'en rendre compte, je sentais que ça allait devenir ma nouvelle motivation pour me réveiller le matin. Et que dire ! Rien que le lendemain matin, je me suis réveillé en sautant du lit. J'avais qu'une hâte: savoir qui allait travailler dans le rayon bio.

Le jour où Océane est arrivée à Cora, je ne m'attendais pas du tout à l'arrivée d'une nouvelle collègue. Sa présence a été une agréable surprise pour moi. Je me suis dit : "Enfin, on va moins galérer dans les rayons". Depuis plusieurs semaines, les employés partaient un à un en vacances, laissant derrière eux une équipe de plus en plus réduite.
Lorsque je l'ai vue arriver ce matin-là à 4 heures, une question m'est immédiatement venue à l'esprit : "Qui c'est ?". Puis, mes yeux ont commencé à la détailler. Elle avait une chevelure rousse flamboyante, assortie à un pantalon violet et un maillot blanc. Malgré sa petite taille, son allure dégageait une impression de détermination et de sérieux. Au premier abord, je l'aurais imaginée plus grande, dans la vingtaine. Cependant, lors d'une discussion en groupe pendant la pause, j'ai découvert qu'elle avait seulement 18 ans, soit un an de moins que moi. Cette révélation m'a surpris. Elle me paraissait tellement adulte !

Puis après la pause, en allant aider l'équipe du drive, elle vint me parler pour la première fois seule, tout timidement.
- Excuse moi.. C'est quoi déjà le mot de passe pour la scannette ?
Je lui donnai le mot de passe tout en remarquant la légère rougeur qui colorait ses joues. Cette première interaction me fit réaliser à quel point elle était réservée. Moi qui la croyais sûre d'elle, elle était finalement plus timide que je ne l'aurais imaginé. Mais cette timidité ajoutait une certaine douceur à son caractère, une fragilité touchante qui contrastait avec son apparence déterminée.

Et pourtant, aujourd'hui, elle n'était pas du tout timide. Bien au contraire. Sa réaction extravertie lorsqu'elle a découvert que le rayon bio lui était attribué aujourd'hui a dévoilé un aspect de sa personnalité que je n'avais pas encore eu l'occasion de voir. Son enthousiasme était palpable, et son énergie contagieuse a illuminé toute ma matinée. 
- J'aurai du le parier !! J'étais sûre d'avoir le rayon aujourd'hui !!

Ça a commencé au rayon BioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant