10

99 16 9
                                    

   Nathan subit le chatouillis des cheveux d'Aoki et détailla sa peau laiteuse ainsi que ses yeux. Des yeux qui renvoyaient, malgré ce début de sourire, une angoisse croissante. Il savait qu'elle savait que quelque chose ne tournait plus rond chez lui. Elle lui chantait souvent qu'il avait changé. Ophélia et Stephen s'en prenaient à cœur joie d'accuser son gout prononcé pour les mangas. « Il se prend pour Even Tracter. Tu sais, ce mec qui veut tout raser. » Il les corrigeait que c'était Eren Jagaër, mais ne s'aventurait pas plus loin. Il se sentait reconnaissant d'avoir des gens qui faisaient attention à lui et cela le peinait de ne pas pouvoir les partager ses peines.

— Je ne suis pas blasé. Juste fatigué d'étudier.

— T'as toujours été un piètre menteur. Je te signale que c'est la dernière semaine avant les grandes vacances.

   Et merde ! Ayant la flemme de réfléchir à une argument convainquant, il sourit et accepta son diagnostique. Blasé, menteur, tout ce qu'elle voudrait.

   Le prof rentra une minute plus tard et il parvint à s'endormir. Une mauvaise attitude, il le concédait. Mais cela restait un moyen efficace de passer le temps. Cependant, monsieur Patterson le réveilla cinq minutes plus tard. Il lui posa deux ou trois questions sur la Deuxième Guerre mondiale auxquelles il ne réfléchit même pas. Ses amis se moquèrent, le prof se frustra et le sermona.

   Nathan fixa la bouche de ce dernier en s'imaginant ailleurs. La lune par exemple. Il y sautillait et écrivait son nom sur le sol : Nathan Osborn. Non, il ne fallait surtout pas penser à quelque chose en rapport avec sa famille. Madame Poloch ? Ami imaginaire de Greta. P'tite sœur. Fais chier !

   Tous se rapportaient d'une façon ou d'une autre à sa tristesse. Faute d'échec permanent, il finit par sortir un crayon et un cahier pour dessiner. Il commença par la tête, poursuivi avec le tronc et conclu avec les membres. Son index parcourra les courbes de ce personnage sans relief avant de maquiller son corps de gris en laissant un grand blanc dans sa poitrine. Un être creux, pensa-t-il.

   Il sourit en constatant que ses dessins lui parlaient toujours avant de remarquer qu'Aoki l'observait. Il ferma son cahier et attendit la sonnerie qui annonçait la fin du spectacle soporifique de monsieur Patterson.

   Une fois fait, il remit son cahier en place, retrouva sa mobilité en craquant tous les os de son corps, attrapa son sac et ses amis pour se diriger vers la cafèt' de l'école. Il n'avait pas faim, mais il trouvait des sujets de conversation intéressants devant de la malbouffe. Bras dessus dessous, Nathan pataugea en compagnie de ses potes dans les couloirs en insultant les autres le plus gentiment que possible.

   La cafétéria était une grande salle que les murs blancs faisaient paraitre plus grand et dont les places laissaient présager le nombre important d'élèves à satisfaire. C'était l'un des endroits de l'école où vous trouveriez des gens à n'importe quelles heures. Comme maintenant. Les meilleurs ragots prenaient vit ici, entremêler à de la moutarde et quelques bouchés de salade. Nathan remplit son assiette et s'installa sur une table vide.

   Un cordon bleu ne préparait pas la nourriture, mais elle n'était pas aussi merdique qu'on pourrait le croire. Le problème c'était la mondialisation. Tant de bouches à satisfaire faisaient mettre en place des méthodes qui tuaient la qualité. Un peu comme la vie. Nathan grinça les dents en comprenant qu'il couinait encore et toujours avant d'entamer sa dégustation. Il regarda ses amis prendre place à ses côtés et attendit que l'un d'eux mette un sujet sur la table pour s'y perdre.

— Dans quelques jours, je serai dispensé d'école. Ça m'explose de joie, déclara Ophélia en amenant ses mèches blondes vers l'arrière.

— Oui, plus que quatre jours et je pourrais commencé à publier mon premier roman.

— Tu vas publier un roman toi ? Ne dis pas n'importe quoi.

   Stéphen accusa le coup avant de lâcher fièrement.

— Eh ouais, ma chère. La technologie fait des ravages ces derniers temps. Dommage que tu ne seras pas la première à lire « Des amours ordinaires ».

— Tu peux garder tes textes pourris pour toi.

— Moi j'aimerais le lire, intervint Aoki pour mettre le plus grand sourire du monde sur les lèvres de Stéphen

   Nathan aimait tant la complicité qui cimentait ce groupe. De la super glue extraplus. Le genre de lien que peu pouvaient avoir et qui donnait du sens à chaque journée. Même voulu, il n'aurait pas pu se défaire de ce lien. Tout aurait été plus simple à bien y réfléchir. Pas d'amis, plus de temps pour lui, moins d'évocation d'un passé lointain et d'un futur morcelé. Il aurait été comme ces gens qui s'asseyaient tout seuls et qui semblaient manquer une case. Perdue dans leurs pensées.

   Il ne pouvait s'empêcher de penser que tout cela était illusoire. Dans trois années ou quatre, ils s'envoleront chacun de leur côté pour entreprendre des études universitaires. Il voyait bien Stéphen dans un cursus de lettre moderne. Aoki sur les pas de sa mère en intégrant Harvard et Ophélia à foutre de la pagaille. Il savoura leur accent, leur timbre, leur présence et essaya de faire le vide dans sa tête. Les pensées négatives attiraient les mauvaises ondes, d'après certaines personnes. Il n'y croyait pas, mais il lui fallait une raison de sourire, alors cela fera l'affaire.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant