Chapitre 11

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Lorsque des bruits de pas résonnèrent dans le couloir, le Zabas ouvrit les yeux comme un fauve aux aguets. Quand bien même personne n'était à ses trousses, son sommeil était aussi léger que celui du fugitif. Il ne dormait que d'un œil ; voilà bien longtemps qu'il avait appris à se suffire d'une paire d'heures de repos quotidien, découpées en de brèves siestes. Il n'avait, de toute façon, jamais fait de longues nuits, aussi loin qu'il s'en souvenait. Peut-être était une chose commune à ceux de son espèce, généralement bien plus vigoureux que les humains.

Tapi dans l'ombre, il observa les deux gladiateurs s'éloigner en silence. Il attendait là depuis le lever du jour... et eux, qui venaient tout juste d'arriver, s'en retournaient déjà au camp ?! Ce chien de Talaros avait toujours eu, pour Magan, plus d'égard que pour n'importe quel autre esclave de Dirmorah. Il le traitait respectueusement et, systématiquement, accédait à la moindre de ses requêtes.

C'en était presque pathétique, fulmina-t-il. Avait-il donc un faible pour lui ... ? Ce porc faisait-il cela dans l'espoir de lui plaire, de copuler un soir avec lui ?! Kragen grinça des dents. Il les haïssait. Il les haïssait tous les deux. Pour différentes raisons, certes, mais avec une égale intensité.

– Allez, s'éleva soudain une lourde voix depuis le bureau, c'est au tour... d'Errizae, le vendeur d'essence.

Parfait. Surgissant des ténèbres, le Zabas se dirigea d'un pas décidé vers la porte entrouverte. Il ne passerait pas une minute de plus dans cet ignoble vestibule, se jura-t-il en silence. Et si quiconque y trouvait à redire, ses griffes aiguisées auraient vite fait de tirer les choses au clair.

– Hé ! l'interpella-t-on – sans surprise.

– C'est mon tour, rétorqua Kragen, sans même daigner interrompre sa marche.

Les hommes-lézards jouissaient d'une sinistre réputation. Les contrarier n'était jamais sans conséquence et peu d'hommes, de par le monde, avaient l'audace de se confronter à eux... sinon, peut-être, les barbares Khaënir.

Cet Errizae, en tout cas, ne semblait vouloir se risquer à lui tenir tête. Sans doute était-ce plus sage, s'il tenait à sa vie. L'on n'affrontait pas un Zabas. D'autant plus lorsque celui-ci était l'un des plus féroces gladiateurs d'Idaryön, songea Kragen en se laissant gagner par une grisante sensation de puissance. Tendant quand même l'oreille, au cas où, il marcha jusqu'au bureau de Talaros et, sans perdre plus de temps, en poussa la porte entrouverte.

– Kragen ? sembla s'étonner celui-ci, les mains nonchalamment jointes derrière la tête, un large cigare – à peine consumé– coincé entre les lèvres.

– Me voici, répondit-il en pénétrant la pièce enfumée.

Comme toujours, le gouverneur était entouré de ses gardes, d'inquiétants mercenaires... et d'un appétissant harem de jeunes servantes, drapées d'étoffes parfois trop fines pour cacher leurs courbes les plus secrètes. Soudain silencieuses, toutes contemplèrent d'un œil lascif la puissante silhouette du Zabas s'enfoncer dans la rouge lueur du palais.

– J'ai une grande nouvelle pour toi, mon ami, s'exclama Talaros.

Kragen les dévisagea en retour, une pulsion exquise lui parcourant les veines. À peine leurs regards venaient-ils de se croiser que, déjà, il pouvait sentir la pièce s'emplir de leurs effluves embrasés. Rien au monde n'était plus enivrant que le parfum intime d'une jeune fille fébrile, frissonna-t-il en se laissant envahir d'une dévorante envie. Allongées les unes sur les autres, leurs jambes nues se caressaient délicieusement, leurs pieds vernis glissaient doucement sur leur peau de satin, leurs mains effleuraient les courbes de leurs hanches... et Kragen faillit en perdre la raison.

Emeryde, tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant