17 - Ichika

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Le néant sous ses yeux. Un tunnel d'obscurité, de poudre et de mort. Thomas Lenoir - Bruno Girandeau - appuya sur la détente. Ichika leva le bras, prête à lui trancher la main de sa lame de sang. Ni l'un ni l'autre n'atteignirent leur cible. Frey venait de donner un coup de poing dans le coude de l'homme. Il dévia. Juste assez pour détourner le coup de feu au-dessus de l'épaule d'Ichika.

Les jeunes femmes agirent de concert. Ichika acheva la course de sa lame, entailla l'épaule de Bruno Girandeau. Derrière, Freyja lui planta son poignard dans le dos. Essaya, du moins. Après avoir écarquillé les yeux de surprise, elle bondit en arrière pour se mettre en sûreté.

— Gilet pare-balles, informa-t-elle Ichika d'une voix rêche.

Bruno Girandeau ne leur accorda pas de deuxième chance. Il força Ichika à se déporter en tirant de nouveau dans sa direction. Menaça de faire pareil avec Freyja, qui se jeta derrière un bac de fleurs. Aucun coup de feu ne détonna, cette fois.

Le temps qu'Ichika signale à Frey qu'elle pouvait quitter sa cachette, l'homme s'était éloigné en sens inverse, en direction du parking. Ichika bondit sans vérifier que Freyja la suivait. Kass se trouvait juste là, sur le chemin de Zakka...

La vision d'Ichika s'était brouillée d'angoisse quand elle se jeta dans la ruelle où elle avait laissé sa petite-amie. Recroquevillée contre le mur, plus pâle qu'elle ne l'avait jamais vue, Kass respirait par à-coups. Ichika se jeta vers elle, lui empoigna les mains en prenant soin de diluer son sang pour ne pas la blesser.

— Ça va ?

— Oui. (Kass cligna furieusement des yeux en examinant la silhouette de sa copine.) Et toi ? Il a pointé son arme sur...

— Frey m'a sauvée.

Le choc l'ayant vidée de ses couleurs et de ses pensées rationnelles, Kassandra se contenta de la dévisager en ahanant. Freyja ne tarda pas à les rejoindre, considéra Kass avec gravité avant de se détourner. Il y avait comme de la culpabilité dans son regard.

— On doit y aller, Ichika. Faut qu'on le rattrape.

— Oui.

— Non, s'étrangla Kassandra en agrippant les bras de sa petite-amie.

Elle considéra le sang qui venait de tacher ses doigts, trembla de plus belle. Le ventre noué, Ichika extirpa ses mains de celles de sa copine. Il y avait un temps pour la discussion, pour la projection, pour la stratégie.

Et il y avait le temps pour l'offensive, pour l'action. Et l'opportunité que Freyja venait de leur offrir ne pouvait pas être manquée.

— Reste ici, l'implora Ichika d'une voix tordue, douloureusement tordue. Je te retrouve dès que possible, Kassi.

Sans lui laisser le temps de lui promettre - ou de réfuter - Ichika s'élança avec Freyja en direction du parking.


Ichika eut l'impression d'être transportée la veille, lors de sa session de running avec Freyja. Mais il n'y avait pas de fleuve, pas de chants d'oiseaux dans les arbres, pas d'inconnus matinaux sur leur route. Rien que du béton et du gravier, les battements de son cœur, un océan de voitures.

Bruno Girandeau s'était réfugié dans le parking. Frey avait entraîné Ichika jusqu'au véhicule des Jindal en premier réflexe. Pour n'y trouver que leurs anciennes traces de pas, le fantôme d'une discussion où elle aurait pu mettre fin à sa fuite avant même qu'elle débute.

Après avoir poussé un juron, Frey vira vers Ichika.

— On se sépare pour le chercher ? Ou tu crains d'être seule ?

— J'en sais rien, répondit Ichika avec franchise.

— Si tu as besoin d'aide ou que tu l'as trouvé, appelle-moi. (Freyja tendit le bras pour lui serrer brièvement le poignet.) N'hésite surtout pas, Ichika.

Après avoir hoché la tête, Ichika partit en sens inverse. Elle retourna vers l'entrée du parking, observa nerveusement les environs. Même si Bruno Girandeau ne disposait pas de capacité offensive, son pouvoir de détection lui accordait un avantage conséquent.

Alors qu'elle remontait à pas lent les rangées de voiture dans l'espoir de l'apercevoir, Ichika serra les dents. Elle avait manqué perdre la vie quelques minutes plus tôt. Pour une erreur aussi stupide qu'avoir oublié quel genre de Mutabilis était Girandeau.

Frustrée à l'idée de passer des heures à chercher un homme qui pouvait les sentir venir, Ichika accéléra la cadence. Le parking n'était pas immense. Et il n'y avait qu'une issue - à moins que l'homme tente d'escalader le mur d'enceinte. En croisant son périmètre avec celui de Freyja, l'une d'elle finirait pas tomber sur lui. Il ne pouvait en être autrement.

Dix minutes plus tard, les jeunes femmes se retrouvèrent près du véhicule des Jindal. Frey avait l'air sur le point d'exploser. La colère et leurs recherches frénétiques avaient teinté ses joues de rouge.

— Je comprends pas, gronda-t-elle en shootant dans des graviers. Il a pas pu nous échapper. On l'a vu rentrer dans le parking.

Perplexe, Ichika sonda les alentours. Ces quelques dernières minutes, des badauds étaient venus récupérer leur voiture. À chaque reprise, quitte à essuyer des regards méfiants, les jeunes femmes avaient inspecté les conducteurs et leurs mouvements une fois garés ou sortis du parking. Aucun d'entre eux n'avait semblé lié à leur fuyard.

— On refait un tour ? proposa Ichika d'une voix égale. On peut inspecter l'intérieur des voitures, cette fois.

— Mais il est venu avec les Jindal et leur voiture est vide. Et comment il aurait pu rentrer dans une autre voiture, de toute façon ? s'agaça Freyja en faisant un cercle autour de quelques mètres de large.

— Il a peut-être trouvé une voiture ouverte. Quelqu'un qui aurait oublié de fermer.

Freyja soupira en s'arrêtant. Après avoir observé les graviers pendant quelques secondes, elle bascula le nez vers Ichika. L'air résigné ne lui allait pas très bien.

— On a rien d'autre à faire, de toute manière, grinça la jeune femme en faisant tournoyer sa lame entre ses doigts. Alors allons-y. Je commence par la rangée du fond.

— Je fais le début.

Ichika gardait une main plaquée sur son avant-bras. Elle avait solidifié le sang par-dessus la plaie pour éviter l'hémorragie, mais elle ne voulait pas attirer l'attention si un passant l'observait de trop près.

Rendue hagarde par la perte de sang et l'appréhension, Ichika s'efforçait de passer outre sa vision trouble et les sueurs froides. Elle vérifia méthodiquement l'habitacle de chaque voiture à l'entrée du parking. Chercha Freyja du regard par-dessus les toits luisants pour détendre sa nuque engourdie.

Elle remonta encore une rangée de véhicules sans rien trouver de nouveau. À une vingtaine de mètres, Frey attaquait une autre partie. Ichika l'imita, soupira en constant un nouvel intérieur vide.

La douleur pulsant de plus en plus fort dans son bras, Ichika contourna la voiture, se pencha à l'intérieur.

Détonation.

Un brusque sursaut tira Ichika en arrière. Le souffle coupé, elle se retourna, chercha sa coéquipière du regard. Freyja surgit d'entre deux voitures en courant à moitié accroupie. Ichika se baissa à son tour, expira un souffle tremblant.

Elle avait vu Freyja se tenir l'épaule. Avant d'avoir pu tiré au clair ce qui s'était passé, quelqu'un dérapa dans les graviers. Coup de feu. Même le silencieux dont l'arme semblait pourvue ne pouvait pas masquer ce bruit caractéristique.

Malgré les cavalcades de son cœur, Ichika inspira entre ses dents, forma de nouveau sa lame de sang et quitta son abri.

KYRAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant