Le prix (3/5)

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Gridule partit donc vers le royaume voisin, espérant y trouver un enseignement de magie qui lui conviendrait. Le mage en exercice Proufage, accueillit Gridule avec un grand sourire. Il lui proposa de s'asseoir dans un magnifique fauteuil et, lorsqu'elle lui fit part de son souhait de devenir son élève, il ne sembla pas le moins du monde surpris. Il lui apporta un verre à pieds rempli d'un liquide visqueux mais aux couleurs attrayantes ; lui proposant de trinquer à leur toute nouvelle collaboration. Gridule s'étonna qu'il n'y ait pas de contrat à signer, et demanda à Proufage ce qu'il en était. Acceptait-il vraiment de la prendre sous son aile et de l'initier à un si grand pouvoir sans rien demander en échange ? Lui offrait-il vraiment une pareille chance sans exiger qu'elle renonce à quoi que ce soit ?

Proufage sourit en levant son verre. « Renoncer ? Quel mot étrange. Devenir mage, c'est accéder ; pas renoncer. Pour acquérir cette puissance, il ne vous faut pas des choses en moins, mais uniquement des choses en plus. Buvez cette potion, et vous acquerrez la première des choses qui vous manquent. Restez avec moi pendant quelques années, et vous accéderez aussi à tout le teste. »

Gridule, rassurée par ces propos, porta le verre à ses lèves. Elle sentit immédiatement son menton picoter et, lorsqu'elle y porta ses mains pour se gratter, elle fut effrayée de sentir des poils sous ses doigts. Immédiatement, se rappelant la première réaction de Porfiou en la voyant, Gridule comprit ce qu'il se passait. Proufage devait partager sa conviction que, pour être mage, il fallait avoir une barbe. Gridule trouva cela très bête mais, en haussant les épaules, admit que cela était un maigre prix à payer pour accéder à la magie. Les paysans du royaume étaient loins d'être très intelligents, et les rois l'étaient probablement moins encore. Ils avaient, depuis des siècles et des siècles, l'habitude d'accorder leur confiance à des mages barbus. Avec cette barbe, Gridula gagnait immédiatement la crédibilité qu'il lui fallait pour qu'ils se fient à elle et lui commandent des potions ou des sorts. La barbe n'avait bien évidemment rien à voir avec le talent, et ne donnait aucune once de magie à Gridule ; mais elle était apparemment indispensable pour que les seigneurs la considèrent comme un mage.

Proufage hocha la tête avec approbation une fois que la barbe de Gridule atteint la hauteur de son ventre, et celle-ci fut soulagée en sentant les picotements cesser, au même moment. Proufage annonça a Gridule qu'il allait immédiatement la présenter aux seigneurs et, en l'entendant l'introduire, Gridule comprit que la barbe n'était apparemment pas la seule chose qu'il lui manquait pour être crédible. Proufage prit une voix forte et tonitruante : « Oyez, Oyez. Nous venant tout droit de chez le Grand mage Porfiou, le mage Gridule nous apporte son savoir et son pouvoir. » Tout le monde applaudit, et, lorsque Gridule se retrouva seule avec Proufage, elle lui fit part de sa gêne. Les seigneurs ne risquaient-ils pas de supposer qu'elle avait suivi l'enseignement de Porfiou ? N'était-ce pas leur mentir que des les induire ainsi en erreur ? Porfiou secoua la tête et regarda Gridule d'un air indifférent. « D'où nous arrivez-vous ce soir ? » lui demanda-t-il ? « N'est-ce pas de chez Porfiou ? » Gridule tenta de répondre : « Si, bien sûr, mais ce n'est pas.. » Proufage ne la laissa pas finir sa phrase et affirma juste « Alors, ce n'est pas un mensonge. »

Il était tard et Gridule partit se coucher, soulagée d'avoir pu devenir mage sans signer de contrat piégé ou renoncer à son intégrité. Elle sentit sa barbe sous ses doigts, la caressa en pensant qu'elle avait désormais, toujours à porté de main, la preuve que ce qui lui arrivait était bien vrai. Elle se réjouit de penser qu'elle n'était déjà plus la même qu'avant, qu'on la prendrait désormais au sérieux, et que son existence s'apprêtait à changer du tout au tout.

Petits contes d'un monde à la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant