— Fais au moins semblant de t'amuser, soupira Anne-Fleur en s'accoudant au balcon.Cassien, qui avait pourtant arrêté de fumer depuis belle lurette, s'était laissé tenter par la cigarette trouvée dans un des vieux cartons de ses affaires lycéennes que Lorenzo avait ramené chez lui par précaution, afin d'éviter un éventuel massacre s'il remettait les pieds dans la maison familiale. Il l'avait emporté sans vraiment comprendre son impulsion. Désormais coincée entre ses lèvres, il prenait conscience qu'une soirée entouré de sa famille réunie au grand complet était l'un de ses cauchemars de prédilection. Même la nicotine ne parvenait à enrayer ses nerfs à vif.
— Je suis là, c'est déjà un exploit. Tu ne sais pas l'effort que je maintiens pour me contenir.
— Je crois en avoir déjà vu un aperçu, ironisa-t-elle en le dévisageant.
Il tira sur sa cigarette une nouvelle fois avant d'observer les volutes de fumée qui s'échappaient de sa bouche. Le spectacle aurait pu être hypnotisant si son corps ne criait pas "ça m'avait manqué !" alors qu'il avait tout fait pour arrêter.
— Pourquoi l'avoir invité ? demanda-t-il, irrité.
— C'est maman. Elle a insisté pour que ce soit notre dernier noël en famille. Elle m'a dit que c'était pour ne pas brusquer Violette, mais je pense surtout qu'elle est triste à l'idée qu'on ne se réunira plus comme ça.
— Comment peut-elle être triste de quitter un tel type ? grogna-t-il.
Le soupir d'Anna aurait pu réveiller un mort quand elle planta ses yeux dans ceux de son frère.
— Peu importe ce qu'il s'est passé entre vous deux, Cassien. Maman l'a aimé depuis sa jeunesse. Ce n'est pas comme nous ! À l'époque, on ne divorçait pas pour des broutilles ou parce que l'amour n'était pas au rendez-vous. On se mariait tôt pour obtenir un avenir stable. Et même s'ils ont eu des hauts et des bas, ils sont restés mariés une bonne trentaine d'années. Ce n'est pas rien. Elle a beau désapprouvé ses choix et se rendre compte, aujourd'hui, qu'il n'a pas toujours été un bon père, elle n'en reste pas moins triste à l'idée de laisser partir un homme qu'elle considère comme son premier amour. Elle a toujours vécu avec lui, ce n'est pas facile de tout quitter, du jour au lendemain, sans avoir la certitude que tout sera mieux sans lui.
— Anna, tu as cette vision parce que papa ne t'as jamais imposé sa vision des choses. Tu as eu la chance de faire les études dont tu rêvais, de fréquenter qui tu voulais... moi, j'ai dû me plier aux exigences d'un père psychorigide parce que, je cite, « Ce n'est qu'une amourette de jeunesse, je ne permettrais pas que ça définisse toute ta vie ! ». Papa s'en foutait que je sois amoureux. Il voulait juste me voir suivre ses pas.
Anne-Fleur pinça ses lèvres en se souvenant que trop bien des disputes explosives qui avaient régi l'année des dix-huit de son cadet. Comment oublier la colère et la détresse qui l'avait abattu jusqu'à baisser ses barrières et pleurer toutes les nuits dans sa chambre ? Elle s'en souvenait à la perfection. Et ses négociations avec leur père n'avaient abouti à rien. Il était resté sur ses positions, au mépris des désirs de son unique fils.
— Mais... tu as changé de voie, tenta-t-elle de le consoler.
Un rire sans joie échappa à Cassien qu'il se refusa à retenir.
— Tu parles... j'ai juste quitté l'armée pour une autre.
— Les pompiers sont...
— Je suis dans la branche militaire, Anne-Fleur, coupa-t-il, incisif. Notre père a su parfaitement tirer les ficelles. Je ne suis qu'un chien au bout de sa laisse. Voilà comment je vois ma vie à l'heure actuelle. Et si je suis revenu, c'est uniquement pour donner une seconde chance à maman.
L'aigreur de sa réplique coupa la parole à sa sœur. Comment avait-elle pu croire que la relation entre ces deux-là pourrait s'améliorer quand Cassien ne nourrissait que de la haine à l'encontre de son géniteur ? Rien n'avait changé. Au contraire, les années avaient simplement consolidé les bases d'une animosité déjà bien ancrée.
Cassien soupira en observant les billes émeraudes de sa sœur se remplirent de larmes. Il effleura sa joue pour en récupérer l'une d'elle et assagit son ton.
— Pleure pas Anna... je ne suis pas fâché contre toi.
— Je sais, mais... je suis tellement désolée pour toi.
Elle enfouit son visage entre ses mains pour y cacher les sanglots qui obstruaient sa gorge. Les bras de Cassien l'entourèrent avec chaleur et elle s'accrocha désespérément à sa chemise sans savoir comment le sortir de son propre enfer.
— J'aimerais que tu sois plus... heureux.
— Je voudrais juste être libre, ironique, non ? répliqua-t-il en caressant son dos avant d'embrasser le sommet de son crâne.
Elle renifla et tamponna ses pommettes dans l'espoir de ne pas gâcher son maquillage. Il ne manquerait plus qu'on lui demande pourquoi elle avait pleuré !
— Ma-man ! s'écria Violette en lui agrippant les jambes, un sourire jusqu'aux oreilles.
— Oh, ma puce, sourit-elle en se baissant à son niveau. Qu'est-ce qu'il y a ?
— Mamie a sorti les bûches de noël !! J'ai faim.
— Toujours aussi directe, rit Cassien en écrasant le mégot contre la barrière qui le séparait du vide, éventant l'air dans l'espoir de ne pas enfumer la petite.
— Je ne sais pas de qui elle tient, soupira Anna en la récupérant au creux de ses bras.
— De toi, peut-être ?
Pour se venger, elle lui pinça le nez et il s'écarta en râlant.
— Put...rée ! se rattrapa-t-il de justesse. J'ai plus cinq ans, arrête de faire ça.
— Jamais ! Tu sais pourquoi les fratries existent ? Pour y faire coexister une certaine hiérarchie. Je suis l'aînée, alors j'ai le droit de te martyriser autant de fois que je le veux.
— Quel exemple tu donnes à ta fille ?! feignit-il. Violette, ne copie jamais maman. C'est une méchante sœur.
— Maman est gentille ! protesta l'enfant en se collant contre sa mère.
— La vérité sort de la bouche des enfants, s'exclama Anna, victorieuse.
— Ça ne compte pas quand tu les soudoies.
Il lui pinça le bras et récupéra une tape d'avertissement sur les doigts, fusillé par un regard enfantin. Les deux adultes se figèrent un instant avant qu'Anne-Fleur ne s'esclaffe sous l'air offusqué de son benjamin.
— Non mais j'hallucine ! protesta-t-il, sa mauvaise humeur mise en sourdine par le mépris de sa nièce qui, dans le dos de sa mère, lui tira la langue. Telle mère, telle fille, faut croire...
— Qu'est-ce que t'as dit ?
— Rien !
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Ce sera tout pour aujourd'hui !Un peu de douceur pour Cassien 🫶🏻 sa sœur et Violette sont des amours 🥺❤️
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Tome 2 - True Love
RomanceSix ans se sont écoulés. Six années sans réponse, sans signe de vie. Loup est resté au même endroit, est retombé amoureux, a gardé contacte avec son meilleur ami tout en privilégiant sa famille. Cassien, de son côté, a fuit cette ville de malheur...