— Ludwygia !
Elune ouvrit les yeux sur une longue allée herbeuse. Elle s'étirait entre deux immenses haies touffues parcourues d'épines. La pénombre régnait. Un vent porteur d'une odeur fétide secouait les feuilles sombres et les faisaient bruisser tels des milliers de pinces de scornië. Avec lui, les notes glaciales d'une mélodie jouée au violon dansaient dans les airs comme un requiem. Elles s'infiltraient partout. Elune les sentait effleurer sa nuque, lames acérées prêtes à s'abattre sur elle. Leur chant funéraire susurrait à ses oreilles.
— Ludwygia !
Le cri déchirant lui transperça les tympans.
— Orlyë ? demanda Elune d'une voix blanche.
Sa question se perdit dans l'allée déserte. A deux yoltas d'elle, l'ombre se densifia. Elune resserra sa prise sur l'archet qu'elle tenait toujours. Une forme se dessina. Deux ailes spectrales se déployèrent. D'épais bras terminés par des mains en forme de serres poussèrent à la créature. Un râle macabre s'échappa de sa gorge. Sa tête bestiale se tourna vers Elune. Le monstre fit un pas dans sa direction. Le sol trembla. Elune décampa.
L'archet serré contre son cœur, Elune courut aussi vite qu'elle put. Dans son dos, elle pouvait sentir le souffle de la créature. Son pas lourd martelait le sol dans un battement régulier semblable à celui d'un métronome. Les haies se dressaient plus hautes que jamais. Les épines qui les constituaient s'allongeaient.
— Ludwygia !
Un hurlement non loin la fit glapir. Orlyë n'était pas loin. Le chant glacial du violon se glissa dans ses oreilles. Elune secoua la tête pour s'en débarrasser. Mais comment fuir un son ? Le monstre d'ombre parut.
— Ludwygia !
Elune jeta un regard en arrière. Une intersection venait d'apparaître. Elle s'élança et prit le tournant. Un dédale d'allées embrumées s'ouvrit à elle.
— Ludwygia !
Elle s'engouffra dans celle de droite, le cœur battant. Ses poumons la brûlaient. Ses jambes criaient grâce. Le pas lourd de la créature se fit plus pressant. La mélodie du violon ne la quittait plus. Pire, il enflait. Le sol se fit inégal. Elune buta contre une racine. Sans lâcher l'archet, elle se releva et reprit sa course.
— Ludwygia !
Le cri lui transperça les tympans. Orlyë était là, Elune pouvait le sentir. Une allée devait les séparer maintenant. Où était-il ?
— Orlyë ?!
Ce fut à son tour de hurler à plein poumons. Seule le chant mortel du violon lui répondit en s'enroulant toujours plus autour d'elle. Elune prit un dernier virage et se figea : une impasse. Elle fit volte-face, prête à rebrousser chemin. Le monstre parut au bout. Blanche comme un linge, Elune recula lentement jusqu'à la haie qu'elle se garda bien de toucher. Les épines acérées la déchiquèterait. Le chant du violon était désormais assourdissant. Les ténèbres l'environnaient. La seule lumière était celle des deux billes blanches qui faisaient office d'yeux pour le monstre. Elune se recroquevilla et se boucha les oreilles. Les cris d'Orlyë lui faisaient l'effet d'un coup de poignard dans le ventre. La musique la hantait. Le violon de Nibel n'était pas censé être porteur de mort. Comment celui-ci pouvait-il l'être ?
— Ludwygia !
Le râle du monstre se rapprochait. Dans la main d'Elune, le bois de l'archet qu'elle tenait lui meurtrissait la paume. Elune ôta ses mains de ses oreilles prise d'un doute. Elle n'était pas piégée dans un labyrinthe. Ce n'était qu'un souvenir. La gorge nouée, elle leva la tête vers la créature d'ombre et serra l'archet contre son cœur. Elle ferma les yeux et plongea tête la première dans les ténèbres. Une onde glacée la traversa. Ses genoux ployèrent et heurtèrent la terre meuble. Elune se releva.
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La Mélodie des Plumes - Tome 1
FantastikSur les terres eyliennes, seule la mort attend ceux qui ne peuvent pas voler. Née sans ailes, Elune est donc condamnée. Mais lorsqu'une sécheresse sans précédent se déclare et que tout ce qu'elle connaît part en fumée, Elune se retrouve coincée ent...