Ceux qu'on était

Chapitre 9

Anastasia

— Arrête ça tout de suite, gronde une voix à mon oreille.

Dans d'autres circonstances, j'aurais effectué un volte-face digne des plus grands films et asséné une gifle magistrale à l'impudent ayant l'audace de se frotter à moi.

Pas ce soir.

Parce que j'ai eu beau jouer les indifférentes, il n'empêche que je n'ai pas quitté Fabien du regard. J'ai tiqué lorsqu'il a commencé à enquiller bière sur bière. Malgré tout, le voir échanger avec Romain m'a rassurée. Ces deux-là ont tant de choses à mettre à plat...

Mon cœur s'est emballé quand ils se sont mis en mouvement. Je me fiche des pompiers qui jouent les tombeurs auprès de tout ce qui porte une jupe depuis la fin du feu d'artifices ou de cet ancien camarade de lycée qui a tenté de me soutirer mon numéro de téléphone il y a une heure. Moi, je n'ai d'yeux que pour les deux bruns qui traversent la foule avec une aisance innée.

J'ai espéré, prié, même, pour qu'il me rejoigne. C'est une idée folle, une décision irrationnelle, je le concède. Pourtant, je ne l'arrête pas. Pire, je l'encourage en nouant mes doigts aux siens.

Sans prévenir, il me fait tourner sur moi-même avant de me plaquer contre lui. J'enroule mes bras autour de son cou et, enfin, lève le nez vers lui. À la seconde où nos regards se croisent, toutes mes bonnes résolutions s'envolent. En venant ici pour le week-end, j'avais espéré mettre mon quotidien de côté. J'avais imaginé un séjour calme et ressourçant, loin de ma deadline et de mon job ennuyeux.

Jamais je n'aurais cru me retrouver dans les bras de mon crush d'adolescente. La manière dont il me dévore des yeux, ses mains sur mes hanches... Houston ! On a un sérieux problème !

— Quoi donc ? demandé-je, feignant l'innocence.

— J'ai trop d'alcool dans le sang pour jouer à ce petit jeu, Ana.

« L'incident » du déjeuner me revient en mémoire. Je me hisse sur la pointe des pieds, effleure sa bouche de la mienne.

— Et si je te laissais gagner ? soufflé-je.

Au moment où il s'avance pour m'embrasser, je tourne la tête, lui offrant ma joue, avec un sourire mutin. Sa réaction est immédiate. Il grogne, glisse une main sur ma nuque pour me forcer à lui faire face.

— Tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques.

— Je suis une grande fille, Fabien. Plus personne ne me dicte ma conduite. Ni mes parents, ni les tiens.

À la mention du couple Gantier, il se fige et, durant un quart de seconde, je crains qu'il ne fasse machine arrière. Suis-je prête à laisser passer ma chance, une fois encore ? Ou dois-je me battre pour enfin donner un autre tournant à ce « nous » qui m'obsède depuis des années ? Mais avant que j'aie le temps de dire quoi que ce soit, Fabien attrape ma main et m'entraîne hors de la piste de danse.

Je ne pose aucune question, n'émets aucune protestation. Il pourrait m'enlever, m'embarquer à l'autre bout de la planète : je le suivrais avec le sourire aux lèvres et le cœur battant à tout rompre.