Chapitre 22 - Hëna

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J'aurais dû m'y attendre, quand je revins là où nous étions, deux verres à la main, Pandore n'y était plus. J'avais encore les images de nos lèvres qui s'emmêlaient, nos mains qui parcouraient nos corps, et nos souffles qui se nouaient, quand je traversais la foule à sa recherche. Quand je demandai à certains étudiants s'ils savaient où elle était partie, ils me montrèrent vaguement un chemin qu'elle aurait pu prendre.

Mon cœur battait la chamade, et j'avais envie de sauter et courir, la retrouver et la prendre dans mes bras, fêter l'une des rares fois où j'ai pu laisser mon égo de côté. J'avais eu peur de le faire, je me suis dit qu'elle devait déjà me haïr plus que tout, et que lui dire ça ne servirait à rien... Je ne pensais pas qu'elle serait si réceptive. Mais Pandore était toujours des plus surprenantes.

Je m'engouffrais dans les couloirs de pierres, vides et froids. On entendait encore le son de la musique et des voix fêtardes, mais tout en atténué, comme si nous avions changé d'univers. La nuit était tombée dehors, et un courant d'air léger passait, me donnant des frissons à travers le tissu fin de ma robe. Je bus une gorgée de ma boisson pour espérer me réchauffer et continuai de tourner à travers le labyrinthe dans l'espoir d'enfin trouver Pandore.

Et soudain, j'entendis des cris étouffés, des bruits d'objets lancés, et la peur m'embrasa, ma tête se mit à tourner. Je devais courir, trouver l'origine de ces cris. Mais que se passait-il ? La panique commença à prendre possession de moi, je fis tomber les verres qui se brisèrent en mille morceaux par terre, mais peu importait, mon cœur battait si fort que je crus qu'il allait s'enfuir. Pandore. Je devais la trouver. Absolument.

Je manquais de tomber à deux reprises, en me dirigeant à toute vitesse vers les hurlements étouffés. Je ne respirais plus, je devais trouver le bon chemin, je devais trouver Pandore, je devais sauver cette personne qui agonisait. Pourquoi personne n'était là pour m'aider ? J'avais envie de crier, mais ma gorge était nouée, j'étais complètement secouée par ma respiration inconstante et les vertiges qui tabassaient mon crâne.

Tournant à un couloir, mes yeux s'écarquillèrent et je devins livide, mes jambes manquèrent de me lâcher, j'étais horrifiée. Une onde de choc traversa mon corps tout entier. Reposait par terre le corps de Pandore, la peau blanche, étranglée comme si elle avait été pendue, les cheveux ébouriffés comme si elle s'était battue. J'accourais près d'elle, fondant en larmes en une demi-seconde, je m'empressai de retirer le tissu qui serrait sa gorge d'une force inimaginable et je pris son pouls, les mains tremblantes. Je crus mourir en ne sentant plus rien. Je poussai un cri de désespoir pour tenter d'appeler à l'aide, que quelque vienne et fasse quelque chose... Immédiatement, des sanglots puissants me secouèrent, des larmes s'échouaient sur mes joues, et je secouai son visage abandonné. J'aurais donné n'importe quoi pour ne sentir qu'un frémissement de vie sous mes doigts.

— Ce n'est pas possible. Non. Non...

Pandore... Je ne pouvais cesser de répéter son nom qui signifiait pourtant tellement, mais qui désormais n'avait plus aucun sens... Ce n'était pas possible. Elle ne bougeait pas d'un pouce, je portais une main à ma bouche, sous le choc, essayant encore de l'autre main de reprendre son pouls, en vain. Je n'avais jamais pleuré ainsi, aussi torturée, de sanglots bruyants prenant possession de mon corps. Je secouais négativement la tête comme si je pouvais encore décider de sa vie ou sa mort, mais rien ne se passait. C'était irréel, je nageais en plein cauchemar.

— Pandore, non, non tu ne peux pas me faire ça. Je t'en supplie, pleurais-je.

Je l'implorais, secouant son corps inerte, sans vie, je ne pouvais pas y croire, je refusais. Je me perdais dans ses yeux bruns, arrangeais ses cheveux, coulant des larmes sur sa peau gelée. C'était impossible...

— Tout ce que je suis je le suis grâce à toi, tu ne peux pas mourir. Pandore je t'en prie.

Dans un élan de folie, je me mis à lever le visage au ciel, implorant n'importe quel dieu, démon, n'importe qui qui accepterait de m'écouter, totalement désespérée :

— Par pitié, prenez-moi, moi mais pas elle. Elle mérite tout sauf la mort.

Toute ma vie j'ai été égoïste, je suis celle qui ai perdu du temps en la blessant, je suis celle qui ai gâché sa vie... Pandore, elle qui avait tant de rêves, tant d'ambitions, elle qui passait tout son temps à briller, resplendissante, qui méritait tout ce qu'elle obtenait... Pourquoi elle, par pitié ? Pourquoi pas moi ?

Je me mis à hurler, comme si on m'arrachait une partie de mon âme, parce que c'était bien pire que cela, parce qu'on enlevait la vie à la fille qui méritait le plus de vivre, parce que j'aurais voulu mourir à sa place, souffrir pour elle, n'importe quoi pour la protéger. Et elle était là, toujours aussi magnifique, alors qu'on aurait pu vivre, s'aimer peut-être, sûrement longtemps, passionnément, on aurait pu être merveilleuses et heureuses... On aurait pu partager tellement, vivre des nuits étoilées envoûtantes et des aventures inoubliables le jour... On aurait pu avoir un avenir. Je ne retenais plus rien, mes cris, mes sanglots, je n'avais plus aucun contrôle, j'avais envie de me rendre, prendre sa place. Puis je me calmais un peu, j'écoutais son silence, son silence qui faisait couler mes larmes et rougir le bout de mon nez et mes joues. J'étais incapable de calmer la douleur qui me traversait le cœur.

Je remarquai que derrière moi étaient arrivés quelques élèves, alertés par mes cris. La scène était entièrement floue, mais je vis Orion les pousser tous pour me rejoindre, ses yeux embués de larmes et choqués, il s'assit près de moi et me prit dans ses bras, aucunement honteux, aucunement gêné. C'était juste nous, au milieu du chaos. Toujours secouée par mes larmes, je m'abandonnai à son torse, les yeux rivés vers Pandore, regrettant tout ce temps que nous avions perdu.

— Ça va aller, me murmura-t-il en caressant mes cheveux.

— Non... Elle et moi, on a passé plus de temps dans notre vie à nous haïr qu'à nous aimer. Et pourtant... je l'aime plus que tout.

Il me murmura qu'il savait, tout en me contenant quand je flanchais, pendant que mon cœur s'échappa de moi et se brisa en morceaux près du corps de Pandore. Soudain quelqu'un tenta de me relever ; un des surveillants, je me débattais, hurlant qu'ils n'avaient pas à me toucher, que je leur ferai payer s'ils m'éloignaient une seconde d'elle. Cela ne les retint pas, ils me portaient jusqu'à une distance satisfaisante selon eux, tandis que je m'effondrais de nouveau au sol. C'est alors que je vis Orion fermer les yeux de Pandore délicatement, et je redoublai de sanglots. C'était vraiment fini, alors...

C'est Kellan et Mélodie qui me rejoignirent, me prirent dans leurs bras comme si j'étais une fragile poupée de cire, et Kellan attrapa tendrement mon menton pour me forcer à tourner mes yeux humides vers lui, il chuchota :

— Je n'ose pas imaginer combien cela peut être dur pour toi, Hëna, mais tu ne seras jamais seule, on sera là, c'est promis.

J'acquiesçai, les joues inondées de larmes, me jetant à son cou, comme s'il était la dernière chose qui me tenait en vie. Je n'arrivais pas à croire tout ce qui venait de se passer... Des images du sourire de Pandore, du petit rictus qui l'animait quand je la taquinais, de son rire, et de sa fierté quand elle réussissait vinrent décorer mon esprit... Je donnerais tout pour pouvoir admirer cela encore une fois... Je ne pouvais pas la laisser, elle ne pouvait pas mourir ainsi, alors qu'elle avait tellement encore à vivre...

Kellan et Mélodie m'aidèrent à me lever, Orion vint aussi, et je vacillais sur mes deux jambes. A quoi bon tenir debout ? A quoi bon continuer d'essayer ? Ils me murmuraient des mots que je ne comprenais plus, l'esprit embrumé, à propos de rentrer dormir, de partir... Je traversais alors la nuit cruelle, mes amis me ramenaient dans ma chambre, trouver un sommeil qui n'avait plus de sens, dans une vie qui me laisserait vide indéfiniment. J'avais envie de hurler encore, que c'était injuste, que la mort aurait dû me prendre moi, et non elle.

Et puis vint le déclic : c'était de ma faute. Tous les malheurs de sa vie étaient de ma faute, je n'avais été que source de malheur pour elle alors qu'elle était innocente. Elle aurait pu vivre si je ne l'avais pas poussée à aller se cacher... Et mes larmes redoublèrent, et je vacillai à nouveau, et je m'effondrai dans les escaliers.

Sous le murmure des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant