L'enfance d'Aïmata (2)

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_Tohora e rua, dit Gerry, il est difficile de démêler l'histoirede la légende. Ils disent que c'était le nom de la double piroguesur laquelle sont arrivés leurs ancêtres, avant d'être le nom del'île. Ils ont choisi l'endroit le plus sûr de l'archipel.

_Ils construisent encore de ces grandes pirogues, m'a ditl'Astronome...

_Oui, vous ne serez pas déçu, vous pourrez sans doute naviguer surun de leurs pahi.Vous verrez, c'est passionnant.

_J'ai hâte de voir ça.

_Je resterai quelques jours avec vous, puis je reprendrai la mer.

_Toujours à la recherche d'Alain Colas ?

_Toujours. Mais aussi de populations humaines ignorées. Tous ceux quenous pourrions sauver de la catastrophe finale.

Cinqénormes tortues nageaient à côté du trimaran bleu. Gerbaultn'était pas encore habitué à la faune fantastique de ce mondecondamné.

_Tout cela me dépasse. Je n'arrive pas à y croire complètement.Je n'aspire qu'à me fondre dans cette tribu et vivre comme eux,le reste n'est pas de mon ressort. Pourvu qu'on m'oublie ici...

_Non, on ne vous oubliera pas, monsieur Gerbault, votre destin restel'hôpital de Dili, comme le mien est un chavirage au large du capHorn. Mais en attendant, vivons pleinement ces quelquesfemtosecondes !

Ilfallut de longues heures pour contourner Tohora e rua. Le soleilcouchant rougissait les nuages noirs menaçants, les crêtes desvolcans, couvertes de palmiers et de fougères géantes, sedécoupaient sur le ciel illuminé d'éclairs lointains. Ils durentse résoudre à dormir à la cape sous le vent de l'île, car lespasses donnant accès au lagon n'étaient pas balisées. Il fallutencore prendre son quart à tour de rôle en surveillant le ciel, eten se faisant secouer par les vagues. Coupée de brèves aversesorageuses, la nuit fut à peine moins chaude que le jour, mais àl'aube le front était passé, et le matin fut radieux.

Quand« Tres Heridas » pointa ses étraves dans la passe,plusieurs dizaines de pirogues à balancier se précipitèrent à sarencontre. Gerry connaissait bien l'endroit et se méfiait desbancs de rudistes, ces énormes coquillages coniques dont lescolonies formaient de redoutables récifs.

Lesoleil baignait tout d'une lumière d'or quand ils jetèrentl'ancre dans la plus jolie baie de tout le lagon. La pénibletraversée s'achevait dans un rêve. Une grande partie de lapopulation était massée sur la plage. Gerbault n'en croyait passes yeux. Un énorme pahide guerre, double pirogue d'une vingtaine de mètres de long, auxextrémités très relevées et finement ouvragées, était tiré surla plage entre les cocotiers. Un second, un peu plus grand que « TresHeridas », était au mouillage. Une nuée de pirogues àbalanciers de toutes tailles, les vaka, entouraient le trimaran bleu.Leurs occupants portaient des parures de fête et semblaient touscurieux de toucher le voilier des étrangers, comme s'ils étaientsensibles à l'élégance de ses lignes.

L'Océan des marins perdus.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant