De notre sang

103 / Mythe et réalité

Camille n'avait jamais pris de drogue et n'avait jamais bu d'alcool au point de se sentir autre, voire de se sentir hors d'elle-même. Elle n'avait jamais perdu le contrôle de son esprit et de son corps volontairement. Elle n'avait jamais été réduite à n'être que la spectatrice de sa propre vie. Elle fut donc percutée de plein fouet par le saisissement brutal d'être tirée hors d'elle-même. Comme si on lui arrachait l'âme. Son souffle devint court et haletant, de la sueur perla sur son front et ses yeux se révulsèrent.

Puis, dans ce maelstrom de sensations puissantes et perturbantes, elle les entendit : Les voix des fantômes du passé, les voix des morts anciens, les voix qui hantaient son esprit et cherchaient à lui transmettre un message.

« Des nôtres. Tu es des nôtres. Puissante et légitime, tu es de notre sang. Tu dois nous protéger. Tu dois te battre pour nous. Jusqu'à la mort. Sacrifice ultime. Par ton sang, tu nous rejoindras alors. Tu le mêleras au nôtre, t'unissant à nous pour l'éternité afin d'accueillir un prochain gardien. Bats-toi et vaincs ! »

Le sang noir et épais se retira de la peau de Camille sans laisser aucune trace, comme s'il n'avait été qu'un voile, et la jeune femme papillonna des yeux, comme s'extirpant d'un rêve particulièrement troublant. Elle fixa sa main un instant, comme si elle lui était étrangère, avant de sursauter.

Autour du bassin, les fantômes de la salle de la fresque, se tenaient immobiles en la fixant. Elle ne l'avait pas remarqué de prime abord, mais il s'agissait uniquement de femmes. Elles portaient toutes une sorte de vêtement qui ressemblait beaucoup à ceux figurés sur les poteries antiques. Mais surtout, elles portaient toutes une arme. Ici, un glaive glissé dans une ceinture ; là, une lance ou une masse à la main ; ici encore, un arc dans le dos. Pas de bouclier, ni aucune pièce d'armure. Bottées jusqu'aux genoux, les guerrières formaient une masse compacte et stupéfiante.

— Ah ! Non ! Hein ! Vous n'allez pas recommencer ! s'exclama Camille qui s'attendait, de nouveau, à se faire traverser, sans comprendre pourquoi ces fantômes l'avaient suivie jusqu'ici.

Les avait-elle réveillés en déambulant dans leur tombeau ? Ou quand elle avait actionné le mécanisme du caveau isolé ? Inconsciemment, Camille s'était légèrement courbée pour encaisser le flux qu'elle s'attendait à recevoir, mais aucune des guerrières ne bougea cette fois. Elles semblaient attendre quelque chose.

Est-ce que c'était elles que Camille devait vaincre pour obéir aux voix désincarnées du bassin ? Si c'était ça, c'était pas gagné d'avance ! Elle n'était ni Egon Spengler, ni Raymond Stantz de l'agence Ghostbuster. Elle ne possédait pas d'arme avec des rayons fluo de protons pour mettre en boite des ectoplasmes ! Elle était donc dans la merde !

Lentement, Camille chercha une issue des yeux. Évidemment, les guerrières n'avaient laissé aucun espace suffisant pour qu'elle tente d'échapper à leur siège silencieux. Peut-être aurait-elle dû les traverser pour atteindre son objectif ? Elle leur aurait ainsi, rendu la pareille... mais Camille frémit à cette idée. Non vraiment, elle préférait ne pas avoir à les toucher...

Dos au bassin, la jeune femme jurait en silence, quand elle décida brusquement que ça ne pouvait pas durer. Elles n'allaient pas continuer à se fixer dans le blanc des yeux éternellement ! Si elles voulaient se battre, et bien, elles allaient se battre ! Consciente de l'absurdité de son geste, la jeune Znūntāk sortit lentement le couteau qui ne la quittait jamais et se mit en position, tout en convoquant son don. De manière assez étrange, elle sentit que la terre était réticente, qu'elle n'était pas d'accord pour s'en mêler.

— C'est bien le moment de faire la fine bouche, marmonna-t-elle pour elle-même. Tu vas m'aider fissa, ma poule ! Parce que là, sinon, je ne vais pas m'en sortir ! Tu as déjà vu une lame blesser l'air ambiant, toi ? finit-elle en s'avançant d'un pas, l'air résolu, vers les guerrières les plus proches.