Emeryde, tome 1

Chapitre 19

 Un hurlement déchira les airs. La lame affûtée du Zabas rencontra le bouclier d'airain du barbare, glissa dessus en un affreux grincement et, au milieu d'une gerbe d'étincelle, dessina un profond sillon sur sa surface.

–C'est ça ! brailla le maître d'arme qui, malgré l'écrasante chaleur de ce milieu d'après-midi, s'était revêtu de son armure de cuir. Tu dois frapper fort, si tu veux briser la garde de ton ennemi.

Kragen se recula en réarmant, aussitôt, au dessus de son épaulière cloutée. Sa lame solidement dressée vers le ciel, il planta ses yeux dans ceux de Magan. Lentement, les deux combattants tournèrent l'un autour de l'autre ... sans, pour l'instant, oser lancer un nouvel assaut.

–Celle des immortels ne comporte aucune faille, intervint Talaros, adossé aux murs du camp. Inutile d'essayer d'y faufiler ton sabre, tu ne pourras la traverser sans la détruire.

Celle de Magan non plus, visiblement. Le Khaënir n'était pas seulement un homme massif, aussi puissant qu'un ours en rut, il était également un fin guerrier. Son glaive, pourtant lourd et émoussé, savait dévier les coups les plus vifs et, en une soudaine contre-attaque, briser la brassière la plus solide.

–Allez Kragen, insista le gouverneur, montre moi ce que tu sais faire.

Lorsque l'arme de Magan s'abaissa d'un demi-pouce -le temps d'un battement de coeur- l'œil du Zabas étincela. Frappant le sol du pied, il bondit aussitôt vers son adversaire et, de toute sa force d'homme-lézard, abattit son sabre comme un marteau sur une enclume.

L'impact fut si rude que, lorsque leurs lames s'entrechoquèrent en un terrible fracas, Kragen sentit vibrer son squelette tout entier. Comment ce barbare pouvait-il encaisser, sans même une grimace, un assaut aussi violent ?! Sous sa peau de bronze ruisselante de sueur, ses muscles étaient du bois noueux, ses os, d'invulnérables barres de fer ... et ses yeux féroces, plantés au fond de l'âme du Zabas, deux braises écarlates arrachées aux enfers.

–Recule ! gronda Kragen en repoussant son adversaire d'un puissant coup de pied dans l'estomac.

Quand bien même Magan, quelque peu bousculé, recula d'un ou deux pas, il sembla n'en concevoir nulle douleur. Il ne portait, certes, ni plastron ni armure, mais son corps était plus solides qu'un ceinturon de fer. Un sourire moqueur se dessina sur ses fines lèvres de barbare, rougies par le sable que soulevaient leurs pieds. Cherchait-il ... à le provoquer ?

Un courant d'air brûlant balaya la surface de combat, secouant comme un vieux linge la tunique abîmée du Zabas. Son poing griffu se ferma autour du pommeau de son sabre, sa solide mâchoire de reptile se crispa.

Malgré la colère qui lui tordait l'estomac, il ne ferait l'erreur de se jeter la tête la première dans un corps à corps perdu d'avance. Non. S'il avait déjà vaincu déjà dix-neuf adversaires au cœur de l'arène, c'est qu'il était bien plus malin que ça. Et quoi qu'en dise Arik, le maître d'armes, son sabre finirait bien par trouver la route menant à la gorge du Khaënir. Il en était certain.

De longues secondes encore, les deux adversaires ne se lâchèrent du regard, malgré le sable qui leur griffait les yeux. Magan se remit en garde, Kragen en fit aussitôt de même ... et à nouveau, les gladiateurs tournèrent l'un autour de l'autre, tous deux prêts à bondir.

–Concentrez vous, lança Arik. Guettez sans cesse la faille chez votre adversaire, et toutes vos actions viendront après coup. Devancez le, imposez lui votre propre rythme.

La queue du Zabas frappa nerveusement le sol. Le maître d'arme avait raison, il ne pouvait se contenter d'attendre, pétrifié par l'appréhension d'une furieuse contre-attaque. Bien au contraire, il se devait de prendre l'initiative, d'être plus vif, plus rapide, plus entreprenant. S'il voulait triompher d'un guerrier de la trempe d'un immortel, il n'avait d'autres choix que celui de se surpasser, d'être meilleur ... et de dominer Magan lui-même, ici et maintenant.