Ce soir, je ne tiens plus en place. L'angoisse de la rencontre de demain me prend aux tripes. Elle me contrôle. Totalement. La peur d'être paralysé sur le terrain m'envahit. Je ne vais pas pouvoir jouer. Je ne m'en sens pas capable. Comment vais-je avouer à mes camarades qu'ils vont devoir faire sans moi ? Ce match important compte pour eux et je vais leur faire faux bond. A contre coeur. Cependant, mes forces s'amenuisent toujours plus dès que l'idée même de le croiser m'effleure, jusqu'à me vider de mon énergie, comme maintenant. Ne vaut il mieux pas fuir et leur laisser une chance plutôt que de perdre le contrôle de mon corps en plein match ?
Je regarde mes colocataires, avachis sur le canapé, en train de décompresser et s'affrontant à leur jeu favori. Leur ignorance me noue la gorge mais pour eux, je me dois de retrouver ma voix. De leur dire que le poids sur mes épaules est trop gros pour être ignoré. Je sais que je vais les décevoir, ils m'ont fait confiance mais je n'ai pas le choix. Foutu passé qui revient au galop quand tu penses qu'il est enfin derrière toi.
J'attends qu'une opportunité se présente, pour enfin leur avouer le fond de ma pensée. Je savais que le jour de se mettre à nu devait arriver.
— Putain Adrien ! Tu es vraiment nul ce soir. Qu'est ce qui t'arrive ? se plaint John.
— Tu peux parler toi ! Tu nous as fait foirer la première partie, je te rappelle.
— Ouais, enfin j'avais le ventre vide, maintenant c'est bon, je suis lancé alors que toi tu digères là. C'est certain. Damien, tu veux pas prendre sa place ? Ton bouquin peut bien attendre non ?
Je sors le nez de mon livre que je ne lis absolument pas. C'est le moment de me lancer.
— Je ne serais pas meilleur que lui... désolé. En plus, je ne me sens pas très bien.
— Comment ça ? T'as trop bouffé ?
— Je suis barbouillé, comme si j'avais la gastro.
— Me la fait pas mec, c'est le stress ça, nous interrompt Tomas dans notre dialogue.
— Hum... je ne sais pas. Je pense que c'est plus que ça. Ça sent mauvais pour le match de demain. Il faudrait peut-être mieux prévoir quelqu'un d'autre, tu ne crois pas capitaine ?
— Tu as mangé comme nous et il y a que toi qui es malade. Tu ne vas pas me faire avaler ça. Même en te vidant de tes tripes, tu vas venir sur le terrain.
— Non Tomas, je ne m'en sens pas capable, avoué-je.
— Pour un foutu mal de bide, tu vas louper le match le plus important depuis le début de la compet ?
— Justement, il est important.
— Et justement, on a besoin de toi, insiste Adrien, resté jusque-là silencieux.
Tomas se redresse, se décollant de l'assise sur lequel il était écrasé. Il pose ses coudes sur ses genoux et dépose d'un air sérieux son menton sur le haut de ses poings serrés. L'intensité de son regard me brûle l'épiderme. A cet instant, je n'ai qu'une envie, plonger mon visage derrière les pages de mon roman. Si je pouvais me téléporter directement dans son monde imaginaire et quitter cette discussion d'un claquement de doigts, je n'hésiterai pas une seconde. Mais Tomas poursuit d'une voix calme et posée, incitant à la confidence.
— Et sinon, la vérité ? Tu vas nous la dire maintenant ou on va devoir te tirer les vers du nez ?
— Damien, qu'est ce qu'il y a ? s'inquiète presque John.
— Je ne peux pas jouer contre les RedWolves.
— Pourquoi ?
Le capitaine me fixe tandis que ses amis se chargent de poursuivre l'interrogatoire. Je sens son regard balayer mes traits, comme pour disséquer mon âme. Mes réactions sont scrutées sous les moindres détails. Ma mâchoire crispée, mes doigts qui s'agitent, ma respiration accélérée sont autant de signes qui ne passent pas inaperçus sous l'œil expert de Tomas. Même si pour le moment, il observe, je sais qu'il attend la vérité et que je ne pourrais y échapper.
J'inspire profondément, ferme les yeux pour me donner le courage de déballer mon sac sans subir leur regard. Pour tout simplement fuir leur jugement.
— Je ne veux pas jouer contre eux. Je ne veux pas voir cette équipe.
— Hein ? Mais pourquoi ?
— C'est comme ça, je sais que je n'en suis pas capable.
Si Adrien et John restent sur le cul, la mine stoïque et calme de Tomas m'angoisse.
— Dis quelque chose Tomas, j'en sais rien moi, c'est toi le capitaine après tout.
Le regard assombrit, il réduit la distance entre nous avant de souffler pour relâcher la pression que son corps contenait. Il s'affale de nouveau au fond du canapé et demande avec désinvolture:
— Et sinon, si tu nous racontais un peu toute l'histoire ?
Le silence répond pour moi. Les secondes qui suivent traînent en longueur, alourdissant l'atmosphère ambiante.
— Je peux aller chercher un soda et des popcorns, j'ai tout mon temps, proteste-t-il.
Je me renfrogne. Est-ce le moment de lâcher la bombe qui menace d'exploser à tout moment ? Est-ce le moment de leur révéler ce que j'ai vécu ? La réelle raison de mon refus catégorique de jouer ?
— Que veux-tu savoir exactement ?
— Tout.
— Tout ?— Ouais tout. On est une équipe, je te rappelle. Tu es notre colocataire depuis X semaines maintenant. Je pensais qu'on pouvait se faire confiance. Mais peut-être que je me suis trompé.
— Ce n'est pas évident à dire.
— Alors crache le. Pas besoin de le dire. Crache le venin qui t'empoisonne la vie depuis que tu es ici. Y'a des choses qu'on remarque sans qu'on le dise. Pourtant, ce n'est pas parce qu'on ne dit rien qu'on ne voit rien. Certains font l'autruche, refusant de voir la réalité, d'autres l'ignorent car ça ne les intéresse pas. Et les derniers attendent simplement que tu sois prêt. Mais avec toi, j'ai l'impression que si on te fous pas un bon coup de pied au cul, tu restes prisonnier de ton passé. Brise les chaînes qui te retiennent, on est là pour t'accueillir.
— J'ai eu quelques différends avec le capitaine de leur équipe... prononcé-je à demi-mots.
— Quel genre de différends ? questionne John.
— J'ai comme l'impression que ce n'est pas le début ça, si ?
— Je vous avais dit que je n'avais pas intégré d'équipe lors de ma première année parce que je voulais privilégier les études. En réalité, cela n'avait rien à voir, commencé-je.
— C'était quoi ? me coupe John.
— John tu peux la fermer et le laisser raconter son histoire bordel ?
— Ouais ouais pardon, je t'écoute.
Des regards entendus s'échangent entre mes colocataires. Le co-capitaine s'installe confortablement à côté de moi, les bras croisés sur le torse, les oreilles tout ouïe.
Je me fais le plus petit possible et poursuis, ravagé par la honte.
— En fait, ça a commencé avec une fille...
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Learn to trust
Любовные романыDamien intègre l'université de Fortagne, avec l'intention que sa deuxième année de licence soit à l'opposé de la précédente. À l'inverse, Victoria entend bien la mener dans la lignée de la première, entourée de ses amis, sans vague, mais profitant d...