7 - Natacha

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Je sursaute à l'ordre de Dragomir.

Il y a eu assez de morts pour aujourd'hui. Qu'il laisse ce vigile ! Si je suis encore vivante, c'est grâce à lui.

Je bloque ma respiration pour éviter le mot de trop et pose ma main sur le bras de mon mari, pour l'apaiser. De l'autre, je tiens toujours ma lame. Même si je ne me sens plus en danger, je ne vais pas retrousser ma robe maintenant pour la ranger.

Nous nous jetons un bref regard.

Dragomir aperçoit le sang sur mon poignard et fulmine. Une veine palpite nerveusement sur son front. Je presse plus fort ma paume sur mon bras.

Je lui passe juste le message que tout va bien et que cet homme m'a gardé en vie. En revanche, je tais tout intérêt ou toute question à son encontre, car l'inverse signerait son arrêt de mort. Nous nous lisons tous les deux comme à livre ouvert avec cet époux possessif.

Une fois rassuré, il pivote à nouveau vers mon sauveur.

— Fais appeler le service d'étage pour le nettoyage... qu'ils viennent dans 30 minutes ! exige mon mari.

Le vigile opine du chef et se redresse.

— Avez-vous besoin d'aide ? Demande-t-il en montrant du menton les cadavres étalés sur le parquet.

Je serai tentée de croire que cet homme est un habitué de ce genre de scène. Je sais reconnaître une personne qui est familiarisée avec la mort et surtout le meurtre. C'est un choc pour le commun des mortels. Et je peux vous assurer qu'il faut en connaître un certain nombre avant d'avoir un tel détachement. Car dans mon cas, jamais ça ne deviendra normal. Les années et les scènes de violence m'ont tout de même blindée pour faire face à ma terrible situation.

— Non, barre-toi, maintenant !

Sans un regard, le vigile se détourne et s'exécute comme un bon petit soldat.

Impressionnant, il ne semble pas craindre pour sa vie !

Qui est-il ?

La porte se referme et nous sommes enfin entre nous, en terrain connu.

Je soupire de fatigue.

— Comment as-tu su ?

Car pour quitter la table de jeu si tôt, il a fallu que Dragomir soit informé que j'étais en danger.

— Tes Mutri ont eu le temps de donner l'alerte avec leurs téléphones.

C'est vrai que nous avons une simple combinaison de touches qui nous permet de lancer la cavalerie en cas de besoin. D'ailleurs, je ramasse ma pochette tombée à terre. Je n'avais pas eu le temps de dégainer mon moyen de communication.

— Qui sont-ils ? Je demande en montrant les morts.

— Aucune idée, mais nous allons mener l'enquête. Lazar, fais-moi disparaître tout ça !

Dragomir jette à peine un coup d'oeil sur les cadavres.

— Bien sûr ! Allez, emballez-moi tout ça ! Ordonne-t-il à nos soldats.

Ceux-ci ont déjà sorti les grands sacs poubelles et commencent à envelopper les corps.

— Lazar, je veux savoir qui est ce mec !

— Le vigile ?

Ces deux chefs supervisent l'avancée des opérations en bavardant comme s'ils étaient à une réception mondaine en train de parler météo.

— Ouais, j'exige de connaître pour qui il respire ! Ce qui l'intéresse... Ce gars a du cran... ça pourrait nous servir, le temps où on est à Paris.

Le bras droit se frotte le menton, jaugeant l'idée. Il ne discute jamais les ordres. Cependant, en tant que Conseiller, Lazar donne systématiquement son avis. Dragomir en fait ce qu'il veut, mais au moins il est informé. J'ai rarement vu de tension entre eux et jamais, je n'en ai connu les raisons.

— Va te reposer ma chérie !

Dragomir baise mon front et je me retire. Mon mari prend toujours une suite avec deux chambres. Il respecte mon besoin d'isolement.

Je n'ai plus le cœur à passer ce coup de fil. Triste et désemparée, je fonce dans la salle de bain, dépose mon poignard sur la tablette. Mes vêtements tombent sur le carrelage de marbre. Je retire la double jarretelle et elle rejoint ma lame à côté de la vasque du lavabo. Je m'engouffre sous la douche et très rapidement l'eau très chaude glisse sur mon épiderme, ravivant mes chairs frigorifiées. La chaleur redonne la vie à ce corps qui ne ressent plus rien, même si sur le moment, cette température trop haute me fait mal. La douleur est une sensation comme une autre et elle est bienvenue en cet instant.

Une fois plus détendue, je me lave rigoureusement, frottant partout, enlevant cette saleté de culpabilité qui me colle à la peau, cette frayeur qui parfois s'immisce à l'intérieur et me submerge. Cela peut-être si fort que je suis surprise de ne pas avoir déjà explosé. Puis, je presse ma poitrine, avec mes bras, comme si je m'enlaçais, retrouvant la protection de ce vigile, ce diamant enfoncé meurtrissant mes seins. Je clos mes paupières, baisse la tête. Le torrent d'eau bouillonnante tombe et ricoche sur ma nuque, mes épaules. Je demeure prostrée, laisse le flot purifier mon corps, libérer mon esprit.

Cette étreinte forcée avec cet inconnu a éveillé quelque chose en moi. Rien à voir avec les calculs de la mafia où rien n'est donné gratuitement. Cet homme a été ébranlé un instant, comme moi, c'est comme si nous avions vibré à l'unisson. Ce fut bref, mais intense.

Ses yeux noirs me scrutent encore au tréfonds de mon cœur. Ses cheveux bruns, indisciplinés, lissés en arrière. Sa peau plus sombre que la mienne m'amène à penser qu'il a du sang latino dans les veines. Il coule une flamme en lui qui a réchauffé ma carcasse glaciale comme la mort.

— Natacha, tu vas bien ?

Le ton inquiet de Dragomir me ramène au présent. La chaleur du vigile m'abandonne instantanément. Soudain, j'ai froid.

— Oui, dis-je en fermant l'arrivée d'eau.

Je m'emmitoufle dans un peignoir épais.

— Je vais me coucher !

Ma phrase à peine terminée, j'avale une pilule magique pour dormir. La caféine m'aura permis de faire face à cette drôle de rencontre avec ces assaillants. Maintenant, mes batteries sont à plat et j'ai besoin de les recharger.

Mon mari hoche la tête. Il a l'habitude de m'observer ainsi. Devant lui, je suis naturelle ou presque.

— Je redescends jouer alors.

J'acquiesce à peine. Il n'y a jamais eu d'amour entre nous. Dragomir me voit comme un bien précieux à conserver et moi, j'ai encore des intérêts à vivre. Notre histoire n'est pas plus compliquée que cela.

J'ai juste le temps de me sécher les cheveux et Morphée s'empare de mon esprit.

Je plonge dans les draps de soie et je disparais, un sourire aux lèvres, sentant toujours deux bras musclés m'enlacer.

Dans la nuit, Dragomir s'immisce dans mon lit. Des mots fredonnés à mon oreille que je ne perçois pas. Des caresses qui me laissent de marbre. Je me retire plus loin, oubliant mon enveloppe charnelle.


Etreinte enflammée (romance militaire)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant