Les Trois Labyrinthes d'Hermès Trismégiste

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L'Égypte est la terre où naissent les pièges. Sur ses sables furent bâtis les sépulcres de Djoser et du premier Souphis, les caveaux sans nombre de la puissante Ouaset, et le palais d'Amenemhat, qui dépassait en grandeur toutes les œuvres humaines. Là-bas les dieux usent de magie, de ruses et de mirages, à l'image du cynocéphale, qui par malignité dupa son frère Asar et l'enferma dans le coffre qui deviendrait son tombeau. Là-bas sont les déserts trompeurs ; dans leurs cieux, le soleil se dédouble et l'horizon s'éloigne indéfiniment. Là-bas sont les seps et les aspics, les Selkis et les Sobek, et l'invisible béhémoth, qui fauche les barques et pétri les pêcheurs dans sa gueule monstrueuse. En Égypte est né, selon moi, le plus pervers et le plus ingénieux des pièges qu'un homme ou un dieu puisse concevoir.

Celui-là se passe de briques ou de crocs, de lances ou de venin ; il n'est fondé que sur des mécaniques de l'esprit, appâtant et broyant l'homme savant à l'aide d'écrits, de témoignages, d'espoirs et d'illusions. Le premier de ces écrits fut découvert par Apollonius de Tyane, tel qu'il le rapporte lui même dans le Livre du secret de la Création, et tel que je vous le rapporte moi même ici : Bélénous, jeune, est fasciné par la statue du sage entre les sage, Hermès Trois-fois-grand, descendant de Mercure. Sur son piédestal sont gravés ces mots : « À celui qui désire connaître le secret de la création des êtres, qu'il regarde sous mes pieds ». La curiosité rongea Bélénous tout au long de sa vie, et devenu lui aussi sage et âgé, il eu enfin l'audace de creuser le sol aux pieds de la statue. L'inscription n'avait pas menti, et le thaumaturge de Philostrate découvrit sous la terre un tunnel, qui le conduisit à travers les ténèbres en une salle rayonnante d'or et de lumière. Sur son trône était assis Hermès, et entre ses mains il tenait la Table d'Émeraude.

Appréciez comme le piège piège d'abord un seul homme par cette seule inscription, par ces seuls premiers mots : « À celui qui désire... » ; comment il le broie, comme il l'obsède, et l'entraîne avec lui sous la terre pour ne lui offrir qu'a révéler un piège plus terrible encore. Hermès-Thot Trismégiste, celui qui a tout su, père de tous les livres et détenteur des secrets de la nature, peut-être est-ce lui qui conçu le labyrinthe, et peut-être seul lui en était capable ; ou peut-être fut-ce Apollonius, ou peut-être cet obscure chrétien de Naplouse, qui nous fit parvenir ses écrits ; ou l'Égypte elle même et ses cataphractes de mages et de sorciers, ses générations de prêtres, garants de rituels cachés et de secrets immémoriaux, ses architectes et ses orfèvres qu'un Dédale aurait jalousé, ses secrets retors et aujourd'hui perdus ; peut être n'est-ce le fruit que d'entrelacs de mensonges et de fausses découvertes, d'interprétations, de contrefaçons et de certitudes malgré tout renouvelées, peut-être au fil des siècles, rajoutant les commentaires aux commentaires, les cryptogrammes aux cryptogrammes, et niant l'évidence afin de mieux s'embuer de mystères, les philosophes ont-ils tissés leur propre nasse avant de s'y jeter aussi volontairement que le poisson, guilleret, se jette sur l'asticot.

La science que l'on nomme alchimie n'est qu'une succession de toiles sur lesquelles ses praticiens se fracassent et s'engluent. Quand l'une cède, une autre la suit, plus dure et plus épaisse, et celui qui les a toutes connues, qui a lutté pour se perdre toujours plus profondément, qui s'est débattu en vain à chasser des chimères, s'agenouille faible et prostré quand enfin vient le grand arachnide. Ces toiles ne sont ni infranchissables, ni en nombre illimité, mais prennent chacune l'apparence d'un labyrinthe inextricable aux innombrables ramifications, au sein duquel toutes les routes, même les plus courtes et les plus sûres, sucent la vie, la pensée et le temps. Ces toiles, j'en ai compté trois, et elles furent pour moi comme trois brasiers aux travers desquels je ne passais que pour conter aux autres le calvaire de leurs brûlures.