J'ai 36 ans, et je n'ai compris qu'il y a quelques mois que je n'ai pas de genre. Ça se peut, oui. Autant de ne pas avoir de genre que de le réaliser sur le tard. Tout simplement parce que le genre est quelque chose de tellement abstrait à mes yeux, que je ne m'étais jamais posé la question.
Il y a des gens qui se sentent homme, des gens qui se sentent femme, d'autres pour qui c'est moins tranché. Et puis il y a moi : en dehors même de la question.
On ne parle pas de genre biologique, là. J'ai un corps de femme et même si ma relation à mon corps est un peu houleuse, c'est mon corps. Mais mon corps est une enveloppe. Les caractères sexués qui me définissent aux yeux de la biologie comme "femme", ne me définissent pas en tant que personne. Ce n'est pas ça qui fera que j'aimerai me maquiller, faire du tricot, que j'aurai un instinct maternel ou tout autre caractéristique "féminine".
La vérité, c'est que même si j'ai une vague idée de ce qu'on attend d'une femme : douceur, féminité, sensibilité... et de ce qu'on attend d'un homme : indépendance, force, courage..., je ne vois pas très bien pourquoi il faudrait être dans un camp ou l'autre. Je ne vois pas très bien en quoi mon vagin me donnerait plus de sensibilité que de courage, ou pourquoi ma poitrine ferait de moi une personne plus sexy qu'indépendante.
Ce sont des organes. Au même titre qu'une oreille, un pied, un cœur ou un rein. Des parties de mon corps, un point c'est tout. On ne définit pas une personne par ses oreilles décollées, ses pieds plats, son souffle au cœur ou un rein manquant.
C'est là qu'entre en jeu le genre social. La société nous dit que nos organes sexués nous définissent comme personne, définissent notre personnalité, notre rôle vis-à-vis des autres, notre apparence, et tous les autres codes de comportement que nous apprenons dès l'enfance. C'est le genre social qui donne certaines consignes et certaines interdictions :
- les hommes ne peuvent pas porter des jupes ou des robes
- les femmes doivent prendre "soin" d'elles (martyriser leur corps pour qu'il corresponde aux standards de beauté)
- les hommes sifflent les femmes dans la rue
- quand un bébé nait dans un couple hétérosexuel, c'est la femme qui se met à temps partiel ou prend un congé parental
- les hommes font de la musculation, les femmes du yoga
- les hommes boivent de la bière, les femmes des boissons sans alcool ou des cocktails
- les femmes font la cuisine, les hommes le barbecue
- les seins des femmes sont sexuels, mais pas les seins des hommes : alors les hommes peuvent être torse nu à la piscine, mais pas les femmesQuoi, ce sont des clichés ? Regardez autour de vous. Ce sont peut-être des clichés, mais combien y a-t-il de femmes dans une salle de musculation ? d'hommes dans un cours de yoga ? Quelle est la proportion d'hommes en congé parental ? de femmes qui ne vont jamais chez l'esthéticienne, qui ne se teignent pas leurs cheveux gris et se promènent en jupe sans s'être épilé/rasé ne serait-ce que les mollets ? Avez-vous déjà croisé un homme en robe ?
Mais la meilleure, c'est dans les bars. Je vais souvent boire un verre avec mon meilleur ami. Qui prend une Despérados, et moi une Guinness. Systématiquement, le serveur (ou la serveuse) pose la Guinness devant mon ami, et la Despé devant moi. Faites le test, vous verrez.
Bref, le genre social, c'est ça. Les gens partent du principe que, parce qu'ils voient une personne avec des nichons, c'est une femme, et qu'une femme, ça boit de la Despé, donc la personne avec des nichons boit de la Despé. CQFD.
Moi, je n'ai pas de genre. Ce qui signifie, en gros, que je m'en fous de ce que la société attend de moi. Si je veux fabriquer des meubles avec mes dix doigts et ma scie sauteuse, je le fais. Si je veux faire du tricot, je le fais. Je suis une personne à la fois hypersensible et indépendante, quelqu'un de courageux et d'altruiste. J'aime la Guiness et le thé. Je n'aime ni le foot ni les magazines people.
Je ne suis ni un homme, ni une femme. Je suis "pas". Je me sens "pas". Je vois que j'ai un corps de femme, mais me sentir femme... ce n'est même pas que je me déconnecte de mon corps, c'est juste que je ne vois pas le rapport entre avoir des pieds plats et faire partie du gang des motards. Vous non plus ? Moi non plus. Je ne vois pas le rapport entre ma vulve et le maquillage, entre mon vagin et la cuisine, entre mon utérus et la répartition des tâches ménagères, entre mes seins et la capacité à exprimer mes émotions.
C'est ça, être agenre. C'est être complètement en dehors des questions de genre, au point de ne pas vraiment se sentir concerné·e par la question. Je me sens concernée parce qu'étant vue comme une femme, je suis la victime directe du patriarcat. Comme personne, je m'en fous un peu. C'est pas vraiment mon problème, voyez-vous. C'est le vôtre, sans doute, mais pas le mien.
Moi, mon problème, c'est de savoir qui je suis, si je ne suis ni un homme, ni une femme, dans une société où on doit obligatoirement être l'un ou l'autre. Sur ma carte d'identité, je dois être l'un ou l'autre. Quand je prends un abonnement téléphonique, je dois dire si je suis une Madame ou un Monsieur. Sur ma carte bancaire, c'est écrit que je suis MME MACHIN TRUCMUCHE.
Etre ou ne pas être... telle n'est pas la question. Je ne suis pas, mais personne ne reconnait mon existence. Est-ce que ça veut dire que je n'existe pas ? que je ne peux exister que si je mens sur moi-même ? que je ne peux que me marginaliser, puisque la société me rejette en tant que simple personne ?
Si je ne suis ni un homme ni une femme, alors qui suis-je ? Si je ne peux pas être juste une personne, est-ce que ça veut dire que je ne suis personne ?
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Réflexions sur le genre, par quelqu'un qui n'en a pas
Non-FictionSi vous partez du principe que tout le monde a un genre, eh bien... pas moi. Pas vous, peut-être. Et peut-être que vous ne vous en rendez même pas compte. A quoi ressemble le monde quand on n'est ni un homme, ni une femme ? Qui est-on quand on n'est...