Chapitre 22 Elvire

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1er septembre 1947.

Encore une date traumatisante pour l'Europe, huit ans que le début de la fin a commencé. La majorité des gens font comme si cette date est une quelconque dans le calendrier, mais je sens aux regards qu'ils ont dû mal à s'y faire. Toutes ces journées. Le 1er septembre... Le 8 mai... Le 11 novembre... Toutes ces dates rattachées à des massacres et à des terribles chocs pour nous. Les Alliés n'ont pas ce problème eux, là où nous ressentons de la honte et de la résilience, eux ressentent la gloire d'avoir vaincu deux fois en 25 ans. C'est dans cette résilience qu'on essaie de vivre avec plusieurs défaites consécutives, de vivre à nouveau en étant les parias, les faibles, les parasites de l'Histoire. Nous n'avons pas le choix. Je reste persuadée que la meilleure chose à faire pour se reconstruire est d'accepter que nous avons perdu, nous trouver un but, ne pas se laisser vivre soumis aux Alliés mais avoir à nouveau ce sentiment d'appartenance à une nation.

Aujourd'hui, plus personne ne saurait définir qu'est-ce qu'un allemand, on n'est plus que les sujets de la vaste cour royale du communisme russe. On doit se reconstruire, sur une base saine de solidarité, de paix, et de tolérance. Tout le monde a bien vu que la haine promue par Hitler n'a servi à rien à part nous détruire nous les premiers.

J'observe Rainer faire de la musculation dans le salon, et pendant ce temps je couds des vêtements d'hiver pour le petit Johann qui grandit merveilleusement bien. Selon ce que Wolf m'a dit, le bébé déambule à quatre pattes avec deux petites dents qui pointent enfin le bout de leur nez, il gazouille énormément. C'est un ange.

« Dis donc mon ange, remarque mon époux. Ton tricot n'avance pas beaucoup. »

Je souris, me retenant de lui dire que c'est probablement parce que j'ai passé les trente dernières minutes à le regarder. Environ deux semaines et demi après son retour, il a décidé d'aller à la salle de musculation avec le Colonel Krämmer qui a décidé de s'installer à Mitte. Le résultat est flagrant, je retrouve presque le Rainer que j'ai connu en 1939. Le visage bien remplumé, marqué par sa masculinité renaissante, ses cheveux acajous coiffés en arrière, il a retrouvé sa carrure habituelle. Haute, fine, avec des muscles dessinés à la perfection qui luisent sous sa peau tendue par l'effort.

Te rends-tu compte qu'en quatre mois tu n'as pas embrassé une seule fois ton mari ? Me chuchote le diablotin. En as-tu seulement envie ? Il te dégoûte ?

Je chasse ces horreurs de mon esprit. Je me lève, posant mon attirail sur le sofa.

« Rainer relève-toi. »

Il obtempère sans rechigner. Il s'éponge le visage avec une serviette blanche et me sourit, attendant que je lui dise pourquoi je l'ai coupé dans sa séance à domicile.

Je m'approche donc de lui, mes yeux ancrés dans les siens, je laisse courir mes doigts sur son torse. Je cache ma satisfaction de voir l'effet que je lui produis, je fais un pas de plus. Nos poitrines sont l'une contre l'autre, je sens son cœur battre à vive allure. Rainer me surplombe d'une ou deux têtes, ce qui me permet d'admirer ses yeux le long de mon corps. Il pose une main dans ma chute de reins en me rapprochant fermement de lui, mes hanches contre les siennes confirment un peu plus le désir qui nous relie. Sa seconde main passe avec lenteur sur ma joue, dans mes cheveux, puis dans mon cou, ce geste m'arrache une vague de frissons. Mon mari se penche vers moi, effleure mes lèvres des siennes. Je souris, captivée entre la frustration et l'adrénaline d'un désir herculéen. C'est alors que nous explosons, sa bouche s'écrase violemment sur la mienne. Surprise, je mets quelques microsecondes à suivre le rythme. Nos lèvres fusionnent presque, nos langues s'entrechoquent sauvagement, synchronisées à nos respirations saccadées. Mon cœur s'emballe, tout mon corps s'enflamme à ce contact. Ses mains se baladent et referment leur étreinte sur mes croupes avant de descendre le long de l'extérieur de mes cuisses. Je me retrouve vite le souffle court, enroulée autour de sa taille, je serre les jambes pour plus de stabilité.

Revers de Médaille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant