8ème jour de la 6ème lune de l'An 4124 du Nouveau Calendrier
Ma douce Ludwygia,
Les jours s'étirent à une lenteur insoutenable. Les nuits ont perdu leur calme apaisant. Sous le ciel éternellement bleu, je me tiens, figure seule et délaissée. Je suis tenu par une promesse faite à un ami avant que l'Entremonde ne l'engloutisse, lui et son familier. Cet ami, tu le connais sans savoir son nom. C'est sans doute mieux ainsi. Tu m'accablerais de remontrances sorties tout droit de vieux textes historiques erronés. Sache seulement que je ne romprai jamais cette promesse, faut-il que le monde brûle pour cela. Pourquoi crois-tu que je reste là à attendre pendant que les Eyliens souffrent ? Pour tenir cette promesse, le don du Temps doit rester mien.
Mais nous sommes deux à partager le même pouvoir sans autre échappatoire que la mort. Auparavant, je n'aurais pas hésité à être le bourreau infanticide que ma promesse nécessitait. Un inconnu n'est personne aux yeux de ma conscience, même s'il s'agit de la chair de ma chair. Cependant, le sort à un sens de l'ironie que je ne partage pas. Il m'offre le couteau sacrificiel et me donne des milliers d'occasions de mettre un terme à toute cette folie. La lame au poing, ma main tremble. Je suis un meurtrier, pas un tueur de rêves.
Je me laisse donc aller à la douce langueur des jours qui passent. Chaque heure qui s'écoule m'affaiblit un peu plus. J'ai perdu, ça je l'ai bien compris. Il me reste cependant une dernière mission à accomplir avant de prendre la fatale décision qui se dresse sur mon chemin. La date fatidique approche. Je n'ai aucune envie de la précipiter. Je profite du calme de la nuit pour me décharger du poids qui repose sur mes épaules. J'observe en témoin silencieux le ballet mystérieux de Feynor. Il s'absente régulièrement de l'Île des Pierres sans que je sache pourquoi. Il suffit de voir l'état de son familier pour comprendre à quel point ses départs sont récurrents. La pauvre bête se morfond dans une solitude qui fait peine à voir.
A vrai dire, il n'est pas le seul à s'éloigner régulièrement de cette île. J'ai finalement retrouvé Elune. Elle est parvenue à l'Île bleue et s'est jointe aux futurs éleveurs pour reconstruire les bâtiments. Je dois t'avouer, Lud, avoir passé toute cette journée à l'observer. Elle fait d'immenses progrès sans s'en rendre compte. Je craignais que son départ ne réduise à néant le travail des cinq dernières lunes. Je me suis trompé. Elle rayonne comme jamais auparavant. Lorsque je la vois, la mélodie qui a abandonné l'Île des Pierres revient à mes oreilles comme un air entêtant. Et dire qu'elle ne s'en rend pas compte.
Tu sais combien une musique en particulier trouble mon cœur. Il s'agit du dernier morceau que tu as joué avant de nous quitter. C'était aussi ton préféré : la Valse des Plumes. Encore aujourd'hui, je ne peux pas l'écouter sans que mon cœur ne me ramène douloureusement à toi. C'est à cause de cet air que je ne suis pas retourné à la Fête de la Réunion depuis ton départ. Ils ont cette fâcheuse manie de le jouer chaque année en ouverture de concert. La seule chose qui me rassénère est de voir les Eyliens se rassembler autour de la musique. Ylkad n'a peut-être aucun égard pour celle-ci, mais ses sbires la tiennent en haute estime. C'est sans doute pour cela qu'ils se sont réunis autour de la Fontaine des Mélodies. La musique protège et guide. Elle a évité de nombreux bains de sang par le passé. Ils le savent. Ylkad n'est pas fou. Il ne profanera jamais la Fontaine. En tout cas, je l'espère. J'ose croire qu'ils sauront écouter une personne porteuse du chant de Nibel.
Les ténèbres m'environnent, volent mon énergie et étouffent le chant des îles. Que dois-je faire ?
Avec tout mon cœur,
Celui qui ne t'oubliera jamais
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La Mélodie des Plumes - Tome 1
FantastikSur les terres eyliennes, seule la mort attend ceux qui ne peuvent pas voler. Née sans ailes, Elune est donc condamnée. Mais lorsqu'une sécheresse sans précédent se déclare et que tout ce qu'elle connaît part en fumée, Elune se retrouve coincée ent...