Chapitre 19

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     — Il reste sept paquets de couches, informa Loup en passant la tête dans l'alcôve qui séparait la pièce principale du bureau accueillant les parents.

     Clarissa, qui pianotait sur son ordinateur, se tourna dans sa direction d'une simple poussée et se mordilla la lèvre, toute à sa réflexion.

     — Ça devrait le faire, dit-elle soudainement. Je vais envoyer des mails aux parents pour bien les informer qu'ils doivent m'en mettre de rechange dans les sacs et aussi, que notre travail ne consiste pas à apprendre aux enfants à devenir propres. Ça, c'est leur job !

     Elle soupira, lasse de devoir rappeler à ces adultes que ses employés ne pouvaient pas passer l'intégralité de leur temps à changer leurs enfants qui apprenaient seulement à faire pipi et caca dans un pot tout en astiquant les meubles sur lesquels quelques accidents survenaient toutes les dix minutes. Ils en étaient au onzième changement et Clarissa avait ordonné qu'ils leurs mettent à tous des couches. Tant pis si elle se ramassait les remarques acerbes de certains parents qui ne comprenaient pas que la crèche avait ses limites en termes d'éducation.

     — Tu veux un thé ? questionna Loup avec toute la douceur dont il était capable.

     Sa manière bien à lui de chercher à l'apaiser fit sourire la jeune patronne qui accepta volontiers. Ravis de rendre service, Loup se dirigea vers la salle de pause, juste à sa droite, pour lancer la bouilloire.

     — T'as vu la tétine d'Olivia ?

     Hélène s'accouda à la chambranle, ses cheveux noirs tirés en une queue-de-cheval ébouriffée qu'elle avait sans doute faite à la va-vite quand les doigts baladeurs des enfants s'y étaient accrochés.

     — Tu as regardé dans son sac ? demanda-t-il en fouillant dans les placards à la recherche d'un sachet à la camomille, le préféré de Clarissa.

     — Oui, et je ne la trouve pas.

     — À tous les coups, elle est quelque part dans les bacs de jeux.

     — Pitié... c'est...

     Elle n'eut pas le temps de se lamenter car déjà, une autre de leur collègue la hélait. D'un air dramatique, elle quitta la pièce ce qui arracha un petit rire au noiraud. Alors que la tasse n'attendait plus que l'eau chaude, il consulta rapidement ses textos, tout de suite bien plus calme. Et c'était étrange d'être envahi par cette émotion qu'il qualifiait généralement de positive. À cet instant, elle ne lui inspirait qu'une mer faussement tranquille, aux profondeurs insondables, et lui chuchotait qu'un danger se cachait peut-être là, derrière cette vague paresseuse.

     Trois jours.

     C'était le nombre exact qui s'était écoulé depuis leur petite dispute, somme toute ridicule.

     Trois jours qu'Aubin persistait à ignorer ses textos.

     Non pas qu'il en ait envoyé beaucoup. Au bout de quatre, il s'était arrêté, comprenant que son "tu me fais la tête" resterait à jamais sans réponse. Ce n'était pas la première fois qu'Aubin lui faisait subir le roi du silence. Quand monsieur estimait être blessé, il fuyait toute forme de communication et s'enfermait dans un mutisme sans nom. C'était pire quand ils étaient ensemble. Aubin était capable de l'effacer purement et simplement de son monde, comme s'il n'existait pas. Cette sensation, horrible, l'avait meurtrie à bien des égards.

     Il savait ce qu'était l'ignorance. Malgré toutes ces années, il ne parvenait à composer avec. Et même en l'expliquant à son petit ami, rien ne changeait. Parce qu'Aubin n'entendait pas.

Tome 2 - True LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant