Retour sur le dramatique fait divers qui a ému et choqué tout Paris : le sauvage meurtre d'une jeune femme au pied de l'immeuble où elle habitait, en plein après-midi, se serait déroulé sous les yeux d'une vingtaine de témoins passifs, passants et voisins de la victime, n'ayant pas réagi pour lui porter secours. L'enquête avance à grands pas", assure le procureur chargé de l'affaire, alors qu'une vague d'indignation secoue la ville à l'encontre des témoins...
La bouilloire siffle furieusement, quelque part. Le bruit pourtant infernal qu'elle produit me semble étrangement lointain. Mon verre s'écrase à mes pieds, constellant le sol de petits éclats acérés. Le parquet se teinte d'écarlate. J'éteins d'un geste rageur le petit poste de radio grésillant.
Dire qu'il y a à peine quelques jours, j'aurais été un citoyen normal, le premier à s'indigner de ce meurtre horrible. J'aurais pensé que les témoins étaient monstrueux. Inhumains. D'une lâcheté innommable. Comment pouvait-on être aussi abject ? Comment pouvait-on laisser la victime aux griffes de son meurtrier ? Moi, à leur place...
Tout le monde pense ça, je crois.
Mais nous ne sommes pas à leur place. Nous jugeons, nous méprisons, mais nous n'avons aucune idée de la réaction que nous aurions eu à leur place. Nous aurions pu être un de cette trentaine de témoins, mais l'idée ne nous effleure pas.
Et peut-être, au fond, la rejetons-nous violemment parce qu'elle nous effraie, nous montre une facette de nous que nous enfouissons l'existence. Ces témoins, des passants quelconques qui n'ont rien su voir aux voisins qui ont vu, entendu, qui savaient... c'était un employé respectable, père de famille, qui rentrait du boulot, une vieille femme au visage flétri par les épreuves, une jeune mère, son enfant en bandoulière, un étudiant plongé dans ses révisions...c'est nous, c'est vous, c'est la société mais tout le monde a regardé ailleurs.
Mais peu importe, au fond. Je me cherche des excuses, mais il n'y a qu'un fait, glaçant : je l'ai tuée. Je l'ai tuée aussi certainement que la lame acérée du meurtrier. Je l'ai tuée, nous l'avons tuée, moi et les autres témoins incapables de lui venir en aide. J'ai son sang vermeil sur moi, sur mes mains, partout.
J'étais persuadé d'être un jeune homme courageux. Ça ne faisait aucun doute. J'étais le genre de personne à arrêter des voleurs dans la rue, le premier à porter secours à vieille dame en détresse, à intervenir quand une altercation violente se déclenchait dans la rue. J'étais quelqu'un de bon. Je croyais l'être.
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↬ Witness | Nouvelle
Short Story❝ Il y a trois jours, j'ai laissé quelqu'un mourir ❞ Tout le monde croit être courageux. Mais tout le monde, un moment donné, détourne le regard. Par honte, par lâcheté, par habitude. Parce que quelqu'un va agir à notre place. Parce que ça ne nous c...