Isla est la seule personne qui connaît mon passé, ici, à Édimbourg. Je n'avais pas vraiment à cœur de partager mon histoire avec tout le monde. C'est un peu trop intime de partager mon passé dans une famille dysfonctionnelle avec qui je n'ai plus aucun contact aujourd'hui. La plupart des gens ne comprennent pas. Comment c'est possible de ne plus adresser la parole à sa propre mère ? Comment peut-on faire ça ? Alors même, que c'est le seul parent biologique qu'il me reste ?Je n'ai pas vraiment les réponses à leurs questions. Enfin... si, mais ce serait trop complexe et intime de leur expliquer. Cette décision est le fruit de presque deux décennies de souffrance.
J'ai souvent fait face aux questionnements, aux jugements des autres. J'ai peu d'amis parce que je n'ai pas envie d'en avoir, de tisser des liens, de souffrir, d'être incomprise.
Ma mère n'est pas une mère au sens qu'ils l'entendent. Elle m'a mise au monde, certes, mais c'est bien la seule chose qu'elle ait faite pour moi. Ensuite, elle a agi comme une enfant, une copine ou un bourreau suivant son humeur du jour. J'ai vécu avec la croyance que j'étais responsable d'elle et non l'inverse. De son bonheur, de sa stabilité mentale et financière. Ce n'était pas mon rôle, pourtant je l'ai endossé pour qu'elle m'aime, parce que les enfants ne pensent qu'à une chose être aimé de leur parent. Mon père serait mort selon ses dires, avant ma naissance. Comme mentir est une seconde nature chez elle, je continue à émettre des doutes. De toute façon, il n'a jamais fait partie de ma vie. Un jour, ma mère excédait par ma phase rébellion à l'adolescence, m'a dit que j'étais une erreur. Qu'elle avait couché avec un homme sans protection dans le but de faire enrager ses parents. Quelques mois plus tard, elle a appris mon existence et a voulu se débarrasser de moi mais après une longue réflexion, elle s'est dit qu'enfin elle ne serait plus seule. Elle m'aurait, moi, pour toujours. C'est à partir de ce jour que je suis devenue son accessoire, son objet. Ma mère a des traits psychopathiques (comme les personnes avec qui elle s'amourachait, mais ça, c'est encore une autre histoire). J'en ai fait l'expérience dès mon plus jeune âge. Elle ne pensait qu'à elle, me voyait comme une mouche à écraser lorsque je n'étais pas de son côté. Elle ne tenait un emploi pas plus de deux semaines et comptait sur ses amants, tout aussi détraqués, pour payer les factures. Puis, sur moi, lorsque j'étais en âge de travailler. Aucune culpabilité, remise en question ou excuse n'existaient dans son monde.
Je me suis voûtée (littéralement) et j'ai obéis. Pour son bien-être et celui de la famille. J'ai sacrifié ma vie pour me consacrer à tenir à bout de bras la sienne, qu'elle s'évertuait à détruire. Et puis finalement, j'ai pris la fuite. J'avais mon bac, quelques économies sous le parquet de ma chambre que j'avais amassé discrètement avec les années dans la seule perspective que ce jour viendrait. Et je suis partie. Je n'avais rien de toute façon. J'avais tout à construire.
Et depuis, je ne sais pas trop me lier aux gens. Certes Isla est gentille, douce et bienveillante. Mais je reste constamment sur mes gardes, méfiante à l'idée qu'on m'attaque, qu'on me trahisse. Je n'arrive donc pas à lier des liens profonds avec les autres et encore moins avec les hommes.
Vu mon passé, je n'y avais jamais réfléchi avant de me retrouver à Édimbourg dans une petite vie confortable que j'avais construite. J'avais la possibilité maintenant de faire ce que les gens faisaient d'ordinaire. Trouver un homme, fonder une famille. Acheter une maison et un chien. Rien que d'y penser ça me paraît absurde. Parce que jamais je n'avais pensé pouvoir accéder à ces projets ordinaires que les gens faisaient.
J'ai donc essayé de « dater ». Mais devant mon manque de confiance en moi et mon estime revue très à la baisse, je me suis retrouvée à rencontrer des profils d'hommes très particuliers. Des gens que je connaissais en somme. Des gens comme ma mère. Violents, égocentrés. Qui me faisaient croire que j'étais là plus belle chose qu'ils n'aient jamais rencontré. Qu'ils m'aimeraient de manière inconditionnelle. Un beau rêve que je ne connaissais que trop bien car il se transforme toujours en cauchemar.
Mon fonctionnement étant assez simple et répétitif, je ne pouvais pas faire confiance à mon jugement qui m'attirait systématiquement vers des personnes toxiques parce que je ne pense mériter que ça. En réalité, c'est surtout que je ne connais que ça. Il m'en a fallu du temps pour comprendre mon fonctionnement mais maintenant j'ai même du mal à me faire confiance aussi. Puisque mes critères sont un peu biaisés.
Donc voilà, je fuis la gent masculine comme la peste. Persuadée que, de toute façon, au vu de mon radar à red flag rouillé, je risquais plus de me mettre en danger qu'autre chose.
Voilà un élément que j'ai à nouveau sacrifié. Je me rassure comme je peux en me disant qu'un jour, je travaillerais sur moi pour sortir de cet engrenage mais pour le moment je n'ai ni le temps, ni l'énergie, ni l'argent. Mes études m'importent plus qu'une potentielle vie de famille dans une grande maison avec un chien.
Quand on vient de mon monde les priorités changent. La stabilité passe en premier et ensuite ... on verra bien la suite.
Je ne suis pas carriériste pour autant. Mais je veux être sûre de ne manquer de rien et de ne plus me retrouver dans une situation similaire à celle que j'ai connu plus jeune.
C'est donc avec la boule au ventre que j'attends mon directeur de thèse dans le couloir de l'Université d'Édimbourg. Il a demandé à me voir de « toute urgence » dans son mail, ce qui n'arrange pas mon angoisse. Va-t-il m'annoncer que mes subventions sont suspendues ? Que mon étude est nulle et qu'il arrête les frais ? Ou me mettre la pression pour que je trouve enfin des candidats valables à inclure dans mon échantillon ? J'ai un doute sur cette dernière hypothèse vu les mails hebdomadaires de sa part par rapport à l'avancée de mes recherches.
- Miss Douglas, venez je vous prie.
Ça y est, je sens la lame de la guillotine sur ma nuque aussi tranchante que le son de sa voix. Mr McIntyre se met sur le côté pour m'inviter à entrer dans son bureau. Je m'installe dans le fauteuil en cuir en face de son bureau tout en priant pour ressortir vivante de cette pièce.
Il s'installe avec une lenteur sans fin, joints ses mains sur la table et fuit mon regard. Ça ne présage rien de bon.
- J'ai reçu quelques nouvelles ce matin du département de recherches. Et puis, un peu plus tard dans la matinée, j'ai reçu d'autres nouvelles plus... réjouissantes, je dirais.
Il me fixe à présent de son regard, s'attendant certainement à ce que je réponde (spoiler alert :) ce que je ne fais pas.
- J'ai donc une bonne et une mauvaise nouvelle. Cette phrase est tout à fait clichée, ajoute-t-il davantage pour lui-même. Je ne vais pas tergiverser plus longtemps comme la bonne nouvelle est mêlée à la mauvaise...
Le suspense broie mon estomac et je suis suspendue à ses lèvres attendant la suite et maudissant le temps de ne pas égrener ses secondes plus rapidement.
- La mauvaise nouvelle, c'est que votre étude prend trop de temps à se réaliser. Le département de recherche demande des résultats dans les prochaines semaines sans quoi ils suspendront vos financements.
La surprise n'est pas au rendez-vous. Après tout je m'y attendais. Mon cerveau quelque peu anxieux fuse dans tous les sens pour trouver une solution et palier aux milliards de scénarios catastrophes qu'il créait en parallèle. Impressionnante cette capacité à être multitâche.
- Cependant, le bureau d'un ami avocat m'a appelé ce matin. J'ai parlé de votre thèse à cet ami...
Il évite mon regard.
- Il suit le dossier d'un client qui est actuellement en attente de son procès pour meurtre et qui, accepterait d'être inclue dans votre étude. Bien sûr, ce n'est pas le participant « parfait » puisqu'il ne coche pas vraiment les cases pour y participer, mais en attendant ça pourrait nous faire gagner du temps auprès du département pour poursuivre vos recherches.
Ohhh... dois-je me réjouir ou pas ? Mon enthousiasme à l'idée de cette bonne nouvelle s'essouffle comme un soufflet. Ce n'est pas réellement un participant à mon étude, c'est simplement un pansement en attendant d'autres participants qui semblent ne pas exister dans la réalité, vu mon mal fou à les trouver depuis des mois.
- J'imagine que ça nous fera gagner du temps, dis-je en me forçant à sourire.
- Je compte sur vous, Miss Douglas.
Et j'entends ce qu'il ne dit pas : « Ne me décevait pas ». C'est peut-être un peu tard pour ça.
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Corruption
RomanceAlba a eu une enfance difficile. Doctorante en criminologie, elle peine à trouver des participants pour réaliser son étude de recherche sur des criminels. Elle fait alors la connaissance de Liam. Un homme dangereux, accusé de meurtre, qui accepte d'...